Au delà des mots, être vrai !

Prédication du Dimanche des réfugiés au temple de Corcelles (NE) le dimanche 16 juin 2024.

Enregistrement audio a posteriori.

Il y a quelque temps, le président du Conseil synodal de l’EREN, Yves Bourquin, a signé une chronique dans le journal Réformés avec ce titre « Prendre la Bible à la lettre ou la prendre au sérieux ! » J’ai aimé ce titre et j’ai apprécié ce qu’il en disait. Car, oui, nous avons le choix de lire la Bible au pied de la lettre, au mot près, ou avec un regard critique, la prenant au sérieux et ce n’est pas tout à fait pareil. Ce qu’elle dit a du sens et donne du sens à nos vies, à nos engagements et à notre foi.

Deux manières (au moins) de lire la Bible

La Bible est un magnifique panorama de témoignages d’hommes et de femmes en lien avec Dieu en des temps et des circonstances particulières et diverses. Ce qu’ils et elles disent a donc valeur de vérités, pour autant qu’on garde en mémoire le pourquoi de leurs propos. Cette précaution prise, on pourra alors extrapoler et se questionner en quoi ces témoignages – fort anciens – peuvent être encore pertinents pour nous aujourd’hui. Il ne s’agit pas de faire du « copier-coller » sans réfléchir, mais de faire preuve de sérieux dans la lecture de la Bible et son interprétation.

Une autre manière d’approcher les Écritures est de les lire au pied de la lettre, au plus près des mots. Et l’histoire humaine a été parsemée de ces interprétations littérales. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare qu’« on » tire un verset, comme un magicien un lapin de son chapeau et qu’on lui fasse dire surtout ce qu’on veut, sous le prétexte que c’est dans la Bible. Donc, parole d’Évangile !

Attention, ce n’est pas très sérieux et à ce petit jeu, on peut vite se brûler les doigts.

Accepter un texte jusqu’à ses mots les plus durs

C’est à dessein que j’ai choisi, entre les deux textes proposés ce dimanche par l’EPER celui du psaume 137. J’aurais pu, j’aurais dû peut-être, me réfugier dans ma zone de confort et m’attarder sur le texte des disciples d’Emmaüs (l’autre référence proposée).

Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion.
Nous avions suspendu nos harpes aux saules du voisinage.
Là, ceux qui nous avaient déportés nous demandaient des chants, nos oppresseurs nous demandaient de la joie: «Chantez-nous quelques-uns des chants de Sion!»
Comment chanterions-nous les chants de l’Eternel sur une terre étrangère? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie!
Que ma langue reste collée à mon palais, si je ne me souviens plus de toi, si je ne place pas Jérusalem au-dessus de toutes mes joies!
Eternel, souviens-toi des Edomites! Le jour de la prise de Jérusalem, ils disaient: «Rasez-la, rasez-la jusqu’aux fondations!» Toi, ville de Babylone, tu seras dévastée.
Heureux celui qui te rendra le mal que tu nous as fait!
Heureux celui qui prendra tes enfants pour les écraser contre un rocher!
Psaume 137

Mais non ! J’aurais pu, j’aurais dû peut-être, comme souvent, ôter de la lecture le dernier verset du psaume 137. Parce que, comment la Bible, la parole de Dieu, peut-elle inciter à écraser des enfants contre un rocher ? Ce doit être une coquille de copistes… Ce n’est pas sérieux !

Si j’avais fait cela, si j’avais « édulcoré » ce psaume, je n’aurais pas été fidèle au texte. J’aurais sans doute fait dire à la Bible ce que j’avais envie d’entendre, ce que je voulais qu’elle me dise. Je l’aurais sans doute trahie. Alors, j’ai assumé ce texte, je l’ai pris au sérieux jusqu’à son dernier mot.

Les psaumes de l’existence humaine

Il vaut la peine de se souvenir que le livre des Psaumes est un recueil de prières, sous formes de chants dont nous avons perdu la mélodie. Nous en avons d’autres arrangements dans les gospels ou nos recueils de cantiques. Ce sont des prières donc ; des mots, certes, mais surtout qui traduisent des émotions ressenties par des femmes et des hommes en des circonstances particulières : des moments joyeux, alors il nous faut louer Dieu. Des peurs, des angoisses, recherchons en Dieu un abri, une protection. La conscience de la grandeur du ciel et de la petitesse de l’humain, rendons gloire à Dieu pour la beauté de sa création. Le recueil des psaumes est un magnifique panorama de l’âme humaine élevée vers Dieu. Un peu un condensé de toute la Bible.

Et parmi les circonstances de l’histoire et de la vie, il y en a qui conduisent au désespoir. Souvenons-nous : le peuple de Dieu a été capturé et emmené en exil à Babylone, loin de sa terre promise. Et là, plus l’envie de chanter ni de faire vibrer les harpes ni résonner les instruments. Plus l’envie de danser ni de rire. On se souvient d’où l’on vient. On voit où l’on est. On subit le mépris et l’arrogance des plus forts ! Comment alors célébrer la vie sur la terre de ceux qui nous ont arrachés à nos racines et nous ont contraints à vivre dans cet ailleurs ? Voilà ce qui devait habiter les pensées des exilés à Babylone. Voilà ce qui doit aussi habiter les pensées de tous ceux qui ont dû fuir à leur tour leurs terres d’enfance vers un ailleurs qu’ils ne voulaient pas.

Dans ce désespoir, dans cette nostalgie, surgissent alors des émotions : tristesse, bien sûr, colère sûrement. La colère fait naître la haine : on en veut à ceux qui nous ont arrachés à notre terre. On aimerait qu’ils connaissent le même sort, en pire.

On en vient à la vengeance : on se réjouirait de celui qui rasera à son tour Babylone l’envahisseur, qui écraserait ses enfants contre les rochers ! Des mots qui traduisent des émotions !

Quel Dieu prie-t-on au fait ?

Aujourd’hui, ce texte nous est difficilement audible. Il grince à nos oreilles, parce qu’il vient bousculer notre image d’un « bon » Dieu, aimant, qui offre sa grâce à tous et à chacun sans exception qui appelle jusqu’à aimer ses ennemis. Oui, certes. Mais, ce Dieu-là est aussi celui que l’on prie, à qui l’on se confie et à qui on confie ses émotions. Et comment nous confier à lui, lui Dieu, sans être vrais, authentiques, avec nos blessures, nos colères, nos regrets, nos rages ?

Combien de pourquoi : « Pourquoi Dieu a-t-il permis les massacres d’innocents ? » Cette question est légitime.  Nous n’avons souvent pas de réponses convaincantes. C’est alors dans cette impuissance à justifier quoi que ce soit que nos émotions peuvent monter vers Dieu dans nos prières.

Dieu est cette oreille ultime, quand il n’y a plus personne pour écouter, quand il n’y a plus rien à espérer. Dieu ne rejettera pas celui ou celle qui se tourne vers lui en toute sincérité. Être vrai et sincère, c’est se présenter devant Dieu sans artifice, conscients que nous avons besoin de son écoute, de sa grâce, de son pardon, de son amour. Peut-être encore plus quand nous vivons des situations traumatisantes.

L’accueil au centre

Comme en écho, il y a l’accueil de Jésus pour les petits enfants, ceux que les disciples essayaient d’éloigner.

Des gens lui amenaient même de tout petits enfants afin qu’il les touche, mais les disciples, en voyant cela, leur firent des reproches. Jésus appela les enfants et dit: «Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas.»
Évangile selon Luc 18, 15-17

En ce temps-là, ils n’avaient pas grande valeur, considérés plutôt comme des bouches à nourrir et des fardeaux plutôt que des aimés de Dieu. Jésus les reprend, les disciples : « Laissez venir à moi ces petits enfants ». Et nous aimerions que les enfants trouvent cette oreille attentive et cette confiance auprès d’un parent, d’un ami.

En ce troisième dimanche de juin, nous dédions cette journée à celles et ceux que nous appelons des réfugiés. Des femmes, des hommes, des familles qui ont été contraints de fuir leur pays en guerre vers d’autres horizons, espérant y trouver une autre humanité. Elles et ils ont besoin d’être accueillis, reconnus, soutenus, défendus. Nous dédions aussi cette journée aux personnes qui les accueillent, les soutiennent et les défendent.

Dans ces relations qui se construisent peu à peu, il y a toutes sortes d’émotions du rire aux larmes, de la reconnaissance à la colère, de la défiance à la confiance. Peut-on seulement imaginer tout le chemin émotionnel traversé par celles et ceux qui ont dû abandonner leur famille, leur pays, leur quotidien.

C’est sérieux !

Sur chacune de ces personnes accueillies ou accueillantes, Dieu veille et pose une main bénissante. Il soutient les gestes de fraternité et d’humanité, il accueille toutes – vraiment toutes – les prières et souffle la paix dans les cœurs. Ainsi, avec nous, il fait advenir son Royaume aujourd’hui déjà. Car, Dieu nous prend au sérieux. Ce ne sont peut-être que des mots dits comme cela devant vous. Et c’est sans doute facile de le croire pour nous qui sommes ici, loin des champs de bataille.

Mais quand même, l’amour et le souci que Dieu témoigne à chacune et chacun, ça, nous pouvons le prendre au sérieux. Amen.

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