Textes de la narration et de la prédication du culte du dimanche 17 novembre 2024 au temple de St-Aubin.
Textes bibliques : Premier livre des Rois 17, 10-16 et Évangile de Marc 12, 38-44.
Ce dernier texte a inspiré Myriam Leresche pour le tableau en couverture.
Jean-Philippe Schenk à l’orgue
Chères Amies et Chers Amis,
J’ai fait le choix, audacieux sans doute, de me mettre dans le rôle de cette veuve du Temple de Jérusalem. Je prends le risque de parler à sa place, de visiter les pensées qui auraient pu être les siennes. C’est subjectif, évidemment. Et vous avez le droit de penser autrement. Ensuite, je vous partagerai une courte réflexion.
Alors, je vous invite à la rejoindre, cette veuve, dans l’agitation de ce jour-là au Temple de Jérusalem. Vous la voyez ? Vous l’entendez ? Tendez l’oreille…
Narration
Elles sont là, au creux de ma main. Oh, je ne vais pas les lâcher ! J’ai trop peur de les perdre. C’est toute ma fortune… Tout ce qui me reste ! Moi, la pauvre d’entre les pauvres qui ai tout perdu : mon époux qui est mort trop tôt et nous n’avons pas eu d’enfants. Mon seul soutien n’est plus et je dois faire sans maintenant. Je suis comme Rachel qui pleure et ne veut pas être consolée. Car moi, qui me consolerait ?
Elles sont là. Je sens le bronze qui se réchauffe peu à peu dans ma paume. Je les garde, je les cache contre mon ventre bien trop sec pour porter la vie. J’ai peur qu’on me les vole. Vous savez, il n’y a pas que de bonnes gens au Temple.
Deux pièces, voilà tout ce que j’ai. Deux misérables pièces que je viens verser au Trésor de la Maison du Seigneur. C’est là mon seul et unique sacrifice. Pas assez pour acheter un pigeon, même un peu déplumé. Je ne peux donner que ces deux pièces, ensuite, je n’aurai plus rien.
Que Yahvé pardonne mon indigence ! Qu’Il veuille recevoir cette offrande comme celle de tout mon être. Ce ne sont que deux pièces sans importance, insignifiantes par rapport à ce que mettent les riches. Regardez-les : ils fanfaronnent ! Ils montrent à tous qu’ils ont de l’argent, qu’ils peuvent donner sans compter, eux !
Ce qu’ils laissent tomber dans le Trésor ne leur coûte pas grand-chose, ou si peu. Ils descendront les marches et ne se souviendront même pas de ce qu’ils n’ont plus. Alors que moi…
Alors que moi, en descendant ces marches, je porterai ce vide si lourd. Je retournerai chez moi les mains vides désormais. Je ne pourrai compter que sur la générosité de mes voisines, de braves servantes de Yahvé, qui me donneront de quoi ne pas mourir de faim. Pour le reste…
Qu’il est loin le temps d’Élie le Prophète et la légende de la veuve de Sarepta, qui voyait sa jarre d’huile et son pot de farine toujours pleins. Ces histoires, ça n’arrive qu’aux autres !
Oh, pourvu qu’on ne me voie pas. D’ailleurs, qui regarderait une vieille femme au visage ridé, au dos courbé, à la robe trouée ? Qui la remarquerait au milieu de ces grands qui font briller leur or et leur argent ? Si je fais bien attention, je pourrais jeter mes pièces derrière ceux qu’on admire. Je m’approcherais du manteau soyeux et brillant de ce riche. Comme, j’aimerais toucher cette étoffe de mes doigts déformés, mais je ne m’y risquerais pas. Et je jetterais mon trésor, sans même lever les yeux et je m’en irais par derrière. Ainsi, personne ne me verrait. Oui, c’est cela. Il ne faut pas qu’on me voie…
Seigneur, Yahvé. Pardonne mon indignité !
Me pardonneras-tu un jour ?
Pendant le morceau de musique qui vient, revenons à aujourd’hui, et ici dans ce temple.
Courte prédication
Chères Amies et Chers Amis,
Nous le savons bien, n’est-ce pas : Dieu n’est pas un comptable. Et heureusement. Il ne mesure pas notre foi, notre sincérité, à l’aune de nos dons sonnants et trébuchants. Il n’a pas ce regard inquisiteur par-dessus notre épaule pour vérifier que ce que nous donnons nous coûte vraiment et est à sa hauteur. Parce que, si c’était le cas, je crois que nous ne donnerions jamais assez !
Donner jusqu’à l’excès, vraiment ?
Une question pointe à l’horizon : faudrait-il donc s’appauvrir, au point de tomber dans la mendicité, en donnant tout notre essentiel pour plaire à Dieu et suivre Jésus, à l’image de cette veuve ou de cet homme riche à qui Jésus répond qu’il lui faut vendre tout ce qu’il possède, donner le produit aux pauvres et le suivre ?
Que ce soit la veuve du Temple, le jeune homme ou nous ici et aujourd’hui, voici autant d’exemples qui nous font comprendre que la foi est une invitation au détachement de nos sécurités, un déplacement de notre zone de confort, une prise de risque, un lâcher-prise. Une prise de conscience aussi : tout ne dépend pas de nous seuls ; tout est dans les mains de Dieu, lui qui est riche en bonté et amour pour chacun.
Dieu regarde au cœur
Dieu ne tient pas de compte « pertes et profits » et heureusement. Il n’additionne pas nos « petites misères ». Non, il multiplie largement et sans compter son pardon, son amour et sa grâce. Cela semble évident. Mais, il y a des évidences qu’il vaut la peine de rappeler.
Une autre évidence : Dieu regarde au cœur et avec le cœur. Il sait qu’on ne voit bien qu’avec le cœur, car l’essentiel est invisible pour les yeux… Pour reprendre des mots célèbres de St-Exupéry. Dieu voit la manière dont nous donnons, que ce soit peu ou beaucoup. Et ce qui est invisible, du moins sur les balances, c’est bien l’amour auquel l’Évangile nous appelle. Un amour qui a du poids, malgré tout, un amour en trois dimensions : l’amour pour Dieu, pour le prochain et pour soi. Et c’est cet amour-là qui doit – ou devrait – guider notre manière de donner.
Un amour qui n’a pas de prix… Et pourtant
C’est certainement son amour pour Dieu qui guide la veuve du Temple à donner son essentiel, convaincue sans doute qu’elle ne donne pas à sa juste hauteur. C’est par amour que, plus tard, Jésus donnera son essentiel, sa vie, par amour pour le monde, afin qu’il vive.
C’est par amour que nous aujourd’hui, nous sommes invités à donner ce que nous sommes d’abord et ce que nous avons, et pas seulement dans nos bourses ni nos poches. On peut donner de l’amitié, de la reconnaissance, un regard bienveillant, une oreille attentive, une poignée de main… Tout autant qu’un verre d’eau, un morceau de pain, une invitation. Ce sont là autant de déclinaisons de l’amour, en fait.
Et cela, nous le savons bien, n’a pas de prix, mais peut se révéler d’une grande valeur. Cela semble une évidence que de le dire, mais il y a des évidences qu’il vaut la peine de rappeler.
Amen.