Pour une Église du seuil

Présentation lors de l’assemblée plénière de la Conférence Diaconie Suisse le 11 novembre 2024 à Neuchâtel. À cette occasion, j’ai été approché pour parler de la diaconie à partir de mon expérience du terrain aux représentant·es des Églises réformées cantonales de Suisse.

Mesdames et Messieurs, chers Membres de l’assemblée plénière,

Merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous lors de cette assemblée de la Conférence Diaconie Suisse dans le Canton de Neuchâtel. C’est un honneur et une joie d’être là avec vous. J’aimerais me présenter en quelques mots avant de vous partager quelques réflexions autour de la diaconie en partant de ma propre expérience de terrain.

Je m’appelle Jean-Marc Leresche et je suis diacre de l’Église réformée évangélique du Canton de Neuchâtel et je partage mon emploi du temps entre deux engagements : la responsabilité de la Lanterne, le lieu d’accueil de l’aumônerie œcuménique de rue en Ville de Neuchâtel et le catéchisme des préadolescents et adolescents. Deux activités qui se rejoignent dans le sens où je travaille en équipe avec des collègues, bénévoles et de jeunes moniteurs, où j’accompagne des adultes et des jeunes qui n’ont pas forcément d’implication ni de parcours dans l’Église ; je pourrais parler de « distancés » de nos institutions. Et j’ajouterais encore : deux engagements où la foi s’exprime d’abord dans sa manière d’être et d’accueillir plutôt que dans des discours sur la foi. Et enfin, deux engagements qui m’enrichissent humainement.

Comment me présenter ?

J’ai réfléchi à la manière de m’adresser à vous. J’ai alors fait le choix de commencer par ma réalité du terrain, celle de la Lanterne. Pour cela, je ne suis pas venu seul. Me voici accompagné de quelques-uns de nos visiteurs à qui j’ai donné la parole, écoutons-les : « La Lanterne, c’est un lieu de vie où il est possible de faire des rencontres variées et enrichissantes, où la bonne humeur, la confiance et l’écoute sont de mise. L’ambiance y est décontractée, les animateurs très sympathiques. La Lanterne, ça me fait penser à la Chanson pour l’Auvergnat de Georges Brassens : Toi, l’Auvergnat, qui sans façon, m’as donné quatre bouts de bois quand dans ma vie il faisait froid… Quatre bouts de pain quand dans ma vie, il faisait faim.’ C’est un bel endroit accueillant et chaleureux, où il est possible de se poser et ça compte ! On y vient comme on est, pas besoin de montrer patte blanche. Quand on se sent seul, on y trouve une proximité qu’on ne trouve pas ailleurs. C’est une porte ouverte en cas de coup dur. On peut se plaindre sans peur d’être jugé, et cela compte aussi. »

À lire aussi le journal Reflets de la Lanterne 2-2022.

Je retiens ces quelques mots qui donnent du sens à mon engagement et à celui de la douzaine de bénévoles qui donnent de leur temps et de leur personne à mes côtés :

Rencontres et confiance

La Lanterne est un lieu où se rencontrent des parcours de vie souvent chaotiques, mais au cours desquels nous pouvons découvrir une force de vie, la capacité à rebondir, à trouver un nouveau départ, l’élan pour faire le petit pas de plus. C’est un lieu où la confiance se tisse avec le temps. Et c’est précieux et fragile la confiance, il faut en prendre soin et elle ouvre à la confidence.

L’ambiance

À la Lanterne, on vit la vie avec toutes ses couleurs et nuances. On y rit, on y pleure, on y discute de ses problèmes, on cherche un début de solution et l’ambiance « bistrot » aide à s’y sentir bien. Assis autour d’un petit-déjeuner, d’un bircher, d’une soupe ou d’une salade, qui sont pour certains le premier repas de la journée, on parle de la vie. Quelqu’un a dit un jour : « Ici, à la Lanterne, vous avez le temps de nous écouter, c’est pas comme au café. »

Se poser

Trouver un lieu accueillant, des personnes qui le sont tout autant, ça aide quand il fait froid dehors et dans la vie. Prendre un peu de temps ou beaucoup pour donner la place à chacun, pour déposer aussi le fardeau dans la discussion, la confidence ou la prière.

Une porte ouverte

La Lanterne est une porte ouverte à chacun et chacune. Après 21 ans d’existence, elle est encore connotée « lieu pour les marginaux » et j’aimerais que cela puisse évoluer et que la Lanterne devienne une maisonnette de quartier, car avec une capacité de 15-20 places, on ne peut pas trop rêver.

Une communauté

La Lanterne, ce sont d’abord des visiteuses et visiteurs, des hôtes, des amis… Autant de mots pour éviter ceux de « bénéficiaires » ou d’« usagers ». Elles et ils sont près d’une centaine à franchir le seuil chaque mois. Il y a la douzaine de bénévoles qui se relaient par deux au fil des trois ouvertures hebdomadaires, afin d’accueillir, écouter et servir nos visiteurs. Il y a l’animateur de rue qui se rend présent en ville et fait le lien avec la Lanterne. Il y a le comité de l’association Dorcas qui veille aux aspects administratifs du fonctionnement de notre lieu. Et il y a les trois Églises du canton : réformée, catholique-romaine et catholique-chrétienne qui soutiennent ce lieu d’accueil au cœur de la ville. Ensemble, nous formons une communauté vivante où la dimension spirituelle n’est pas oubliée, puisque notre lieu dispose d’une chapelle et où nous terminons chaque permanence par un temps de prière et de méditation, ouvert à celles et ceux qui le souhaitent. Nous donnons ainsi vie à une communauté « en marge de nos Églises du dimanche matin ». Certains de nos hôtes m’ont dit : « La Lanterne, c’est mon église ! » Et les absents ne sont pas oubliés, mais ont leur place dans nos prières communes.

Une église comme je la rêve

J’aimerais vous faire une confidence, puisque nous sommes entre nous. J’aime cette Église, j’aime cet engagement au plus près des seuils de la société, parce que je crois qu’au travers des visages, des personnes et des histoires, j’ai entrevu quelques reflets du visage de Dieu et de son action dans nos vies. Pas de grandes révolutions, mais de petites révélations ô combien essentielles : retrouver un peu de confiance, oser le pas suivant, faire un choix parfois difficile, mais salutaire…

J’aime cette manière d’accueillir et d’être accueilli dans la convivialité, sans étiquette (ou en les enlevant), en essayant de ne pas trop juger, ni trop vite, en découvrant de belles personnes, de recevoir des confidences de vie et sentir en ce lieu et entre nous un esprit de paix et d’accueil.

À lire aussi : « La diaconie est l’avenir de l’Eglise » – Diaconie Suisse

Des lieux similaires

Je ne vous apprendrai rien, en vous disant que la Lanterne n’est pas une exception et que de nombreux lieux similaires existent en Suisse. Nous en avons eu un panorama francophone lors de la Journée diaconale romande à Lausanne, au mois de février dernier. À La Chaux-de-Fonds, « La Cascadelle » est un autre lieu d’accueil pour le Haut du Canton de Neuchâtel. Et cela me réjouit profondément. Ces lieux, chacun avec sa spécificité et sa réalité, sont une manière d’être et de faire Église. J’aimerais ici remercier toutes les personnes qui s’y engagent et vous, chères Déléguées et chers Délégués, de soutenir de telles actions.

À lire aussi : Lieux présentés lors de la Journée diaconale romande.

L’existence de ces lieux pose aussi la question de la précarité et de la mendicité dans notre pays et la manière de la prendre charge. Cela est une vaste question, mais je me réjouis de constater que les Églises sont partenaires des associations laïques actives dans ce domaine et des autorités politiques.

Notre spécificité

Qu’est-ce qui distingue la Lanterne et les lieux similaires d’un bistrot ou d’une maison de quartier ? Ma réponse sera la dimension spirituelle qui s’exprime déjà dans notre manière d’accueillir, de s’engager, car nous ne sommes jamais seuls. Nous avons la certitude que Dieu nous accompagne dans nos engagements. Il permet que la parole se libère, il ouvre des chemins possibles. C’est là ma conviction et la nôtre.

Dans nos lieux, nous pouvons aussi aborder les questions en lien avec la foi, l’Église, Dieu sans tabou, ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs. Comme nous travaillons en réseau avec d’autres associations, celles-ci peuvent orienter leurs hôtes vers la Lanterne pour des questions qui les dépassent. Nous n’aurons pas forcément les réponses, mais nous pourrons cheminer avec la question et c’est déjà pas mal. Et à notre tour, nous pouvons proposer une aide par un service plus spécifique.

Conclusion

Je conclus en relevant deux citations bibliques qui sont le cœur de mon engagement et que je partage avec les bénévoles, le comité et les Églises :

La première :

Que veux-tu que je fasse pour toi ?

reprenant la question de Jésus à l’aveugle Bartimée (Mc 10, 46-52).

L’importance de laisser la liberté à l’autre, de lui donner l’espace pour dire ses besoins, ses attentes. Bien sûr, il est plus facile et rapide de décider pour lui pour elle, mais on prendra alors certainement une mauvaise décision.

La seconde citation :

Il ne faut pas que notre amour consiste uniquement en discours et en belles paroles ; ce doit être un véritable amour qui se manifeste par des actes. (1 Jean 3,18).

Si nous sommes là, c’est aussi pour apporter une aide concrète et matérielle, sous la forme de nourriture ou de bons Migros, pour ce qui concerne La Lanterne. L’Évangile, cette bonne nouvelle, s’enracine aussi dans le quotidien le plus ordinaire et nous avons à accueillir des demandes de soutien et à y répondre avec discernement, c’est aussi un exercice difficile.

Nous le savons bien, n’est-ce pas, la diaconie, c’est le cœur et la main tendus vers l’autre. À la Lanterne, comme ailleurs, j’en suis convaincu.

Rencontrer, faire un bout de chemin, accueillir, écouter, soutenir, voilà ce qui donne du sens à mes engagements.

Arrivé au terme de ma réflexion aujourd’hui, je n’ai évidemment pas fait le tour de la question, mais j’ai souhaité partager avec vous ce qui m’anime, ce que j’ai découvert depuis 4 ans que je suis à la Lanterne.

Alors, comme je l’ai déjà maintes fois expérimenté, c’est par la discussion que nous nous enrichissons, je serais heureux de poursuivre avec vous par un temps de réactions.

Qu’attendez-vous ?


Prédication lors de la célébration oecuménique sur la Place de la Liberté de La Neuveville le dimanche 26 juin 2022. La thématique retenue était l’attente : « Vous êtes attendus », telle était l’invitation donnée largement ce jour-là.

« Et vous, qu’attendez-vous de moi ? » C’est la question que j’ai posée à mes collègues lors de la préparation de cette célébration oecuménique. Pour toute réponse, il y a d’abord eu un long silence. Puis, cette proposition : « Et si tu nous parlais des attentes de Dieu ? » Merci les collègues ! La réponse à cette question n’était de loin pas évidente. Et j’aurais pu lire des livres de théologie, pour tenter d’esquisser une réflexion sans doute compliquée. Mais j’ai préféré puiser quelques pistes à partir de mes expériences vécues, et notamment de mon engagement à La Lanterne, l’aumônerie de rue oecuménique en Ville de Neuchâtel. Et en y réfléchissant, il m’est venu ce texte biblique :

Jésus savait que le Père avait tout remis entre ses mains, qu’il était venu de Dieu et qu’il retournait vers Dieu. Il se leva de table, quitta ses vêtements et prit un linge qu’il mit autour de sa taille. Ensuite il versa de l’eau dans un bassin et il commença à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait autour de la taille (…)

Après leur avoir lavé les pieds, il reprit ses vêtements, se remit à table et leur dit : Comprenez-vous ce que je vous ai fait ? Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres, car je vous ai donné un exemple afin que vous fassiez comme je vous ai fait. En vérité, en vérité, je vous le dis, le serviteur n’est pas plus grand que son seigneur, ni l’apôtre plus grand que celui qui l’a envoyé. Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique.

Évangile de Jean 13, 3-5.12-17

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Et si on faisait de la spiritualité comme M. Jourdain ?

Quelques mots et réflexions posés humblement à propos de la beauté des rencontres. Ces rencontres qui font mon quotidien, qui sont au cœur de mon métier d’aumônier et de diacre. Ces rencontres qui me font prendre conscience que mon humanité est (beaucoup) plus que ce que j’imaginais. Finalement, on ressemble à M. Jourdain qui faisait de la prose sans en avoir l’air.

On se rencontre autour de la rencontre

Récemment, nous nous sommes retrouvés entre collègues de différentes aumôneries pour faire le point sur nos engagements et en apprendre un peu plus sur ce que font les uns et les autres. Nous nous sommes vite mis d’accord autour d’un mot commun qui nous anime et donne du sens à nos ministères : la rencontre. En partageant, j’ai pris conscience qu’il n’y a pas une mais des rencontres (combien ? Au moins, mille et une). Les discussions m’ont encore montré que nous faisons de la spiritualité à la manière de M. Jourdain qui faisait de la prose sans en être conscient. La rencontre ouvre à cette dimension spirituelle, parce qu’elle est portée par la confiance qui s’instaure entre nous, écoutants et écoutés. Que ce soit auprès des prisonniers, de personnes avec handicap, de migrant, d’étudiants, au-delà des mots, il y a ce lien qui se crée, se développe et se renforce au fil du temps. Ce lien qui fait passer de la confiance à la confidence.

Gens, Filles, Femmes, Étudiants, Copains, En Parlant
Autour de la table, pour parler de la rencontre – Source : https://pixabay.com

On n’est pas seul quand on se rencontre

Aumônier à La Lanterne, lieu d’accueil de l’aumônerie œcuménique de rue en Ville de Neuchâtel, nous accueillons trois fois par semaine nos visiteurs et visiteuses. Le Coin Bistrot ouvre à des discussions parfois terre-à-terre, mais tellement essentielles : là, autour d’un café, d’une soupe ou d’un bircher, des émotions peuvent s’exprimer, des déceptions, des colères, des remords, des joies, des envies qui ont alors droit à la parole. Et c’est là, justement, que la dimension spirituelle de la rencontre, authentique, se révèle. Et c’est certainement, nous responsables du lieu, diacre, animateur et bénévoles, qui prenons conscience qu’il y a plus que l’écouté et l’écoutant. Je prends le risque de nommer ce plus Dieu, le Dieu de Jésus-Christ. Je peux aussi l’appeler le Ressuscité ou plus prosaïquement la Vie. Cette vie qui est faite de relations.

Chaque rencontre est unique, imprévue. Avant chaque ouverture, je ne sais pas, nous ne savons pas, de quoi elle sera faite, ce qui sera partagé, confié. Alors, j’ai pris l’habitude de remettre ce moment d’accueil dans les mains de plus grand que moi, dans un temps de prière souvent partagé avec le ou la bénévole de service. La configuration « Covid-compatible » nous permet d’accueillir un maximum de quatre personnes en même temps. Parfois, une seule est présente et quel cadeau que de lui faire de la place pour qu’elle puisse se raconter et c’est justement dans ces moments-là que je prends conscience que nous sommes rejoints par celui que je me risque à appeler le Dieu de la Vie. Lorsque nous nous quittons, je remercie la personne du cadeau de sa confiance. Je dis ma gratitude à Ce-Plus-Grand qui a permis ce partage.

Ces rencontres du quotidien

Il y a d’autres rencontres, encore plus imprévues. Par exemple, dans les transports publics. Retrouver un ami, s’asseoir là où il ne reste qu’une place libre. Parler de la pluie et du beau temps d’abord et soudain, une révélation. Je me souviens de cette voisine d’un trajet en bus qui après quelques instants m’annonce qu’elle revient de l’hôpital, me parle de ses ennuis de santé, de sa situation familiale… Et lorsque je la quitte, elle me fait un sourire que je devine derrière le masque. Un moment de spiritualité, de confiance, de joie profonde. Parce qu’il n’était ni prévu ni attendu, encore moins espéré, il m’en est que plus précieux.

Auto, Autobus, Car Postal, Montagnes, Trajet De Bus
Car postal, train, trolleybus, autant de lieux de rencontres inattendues – Source de l’image : https://pixabay.com

L’expérience m’a aussi montré que les rencontres « arrangées » ne sont pas aussi personnelles. Souvent, on ne sait trop quoi se dire, parce qu’il faut bien dire quelque chose. Mais, quand on fait quelques pas dans le jardin autour du home, quand on s’assoit sous un parasol et qu’on déguste un sirop, quand on regarde quelques instants un match de tennis ou un bout de série télévisée, il se passe quelque chose au-delà des mots maladroits que je pourrais prononcer.

Ces rencontres dans des moments-clés

J’ai aussi rencontré des familles, des parents, dans des moments-clés de l’existence. Lorsque des mariés veulent placer leur union sous l’amour de Dieu; lorsque des parents souhaitent faire baptiser leur enfant; lorsque un décès vient bouleverser un équilibre familial, il y a alors rencontre. Au-delà des retrouvailles au moment de la célébration, il y a auparavant une rencontre teintée de questions existentielles, de confidences du style : « On n’est pas très croyants, vous savez, mais… » Et l’important, je crois, n’est pas de donner des réponses toutes faites, mais d’accompagner des questions, d’oser dire que je n’en sais pas plus, mais que j’ai confiance…

Allons-y !

Revenons à notre séance de travail entre collègues. Quelques idées on fusé : et si on était encore plus proactifs, si on initiait nous-mêmes et d’abord la rencontre en allant vers, en sortant de notre zone de confort. En invitant aussi les collègues et paroissiens à faire de même pour se rencontrer en toute humanité et en toute humilité à la Lanterne, sur un banc public, à la terrasse autour d’un café… On se prend à rêver d’un camping-car qui sillonnerait les routes et s’arrêterait là où les gens sont… À l’image du Rencar dans le Jura et Jura bernois. C’est certainement une forme d’Église de la rencontre que nous sommes plusieurs à appeler de nos vœux.

La Lanterne – Un accueil en ville

Lors du culte du Synode de l’Église réformée évangélique du Canton de Neuchâtel (EREN), ce mercredi 1er décembre, j’ai été installé dans mon poste d’aumônier de rue en Ville de Neuchâtel. Avec trois de mes collègues, Yvena, Sébastien et Anne-Pascale, nous avons été invités à dire quelques mots à propos de nos engagements respectifs. Je partage ce que j’ai dit à cette occasion.

Une lanterne est une lumière qui éclaire un peu le chemin qui est devant nous. C’est aussi un repère, la promesse d’une porte, peut-être ouverte sur un lieu hospitalier.

Au centre-ville de Neuchâtel, lorsque la lanterne est allumée devant la porte du lieu d’accueil de l’aumônerie œcuménique de rue, c’est l’invitation à s’arrêter, à entrer, à passer un moment, à discuter ce qui fait la vie, ce qui fait aujourd’hui; qu’il soit rayonnant, morose ou franchement sombre.

La Lanterne, c’est ce lieu « bistrot » où des bénévoles s’engagent pour accueillir habitués ou gens de passage. Ils m’accompagnent, moi l’aumônier responsable, chacun et chacune avec sa personnalité, pour accueillir, écouter et servir. Nous sommes soutenus par un comité engagé lui aussi.

La Lanterne, c’est une chapelle au coeur de la ville, où on prie les uns pour les autres, ou on se soutient.

J’aime ces deux piliers, le « bistrot » et la chapelle, parce qu’ils donnent du sens à mon engagement diaconal.

La Lanterne, c’est encore Yves Conne, animateur de rue bénévole, présent au plus près dans l’espace public. Une belle complicité nous unit pour être là, pour rejoindre et accompagner ceux et celles qui croisent notre route.

Une lanterne, c’est une lumière pour dire que la nuit n’est pas aussi profonde qu’on le croit.

Une lanterne qui fait qu’on peut retrouver l’espoir, parce qu’on est pas seul. Parce qu’on est tous une lumière.

Constantin Bacha a enregistré ce moment. Merci à lui.

Je vous invite encore à prendre le temps de lire la prédication de la pasteure Diane Friedli lors de ce même culte : Une Église aux prises avec le monde.

Image de couverture : Pixabay, Lars_Nissen

Du commissariat à la rue

Les parcours de vie qui nous ont amenés, nous diacres, à nous engager dans un ministère sont divers et variés, ce qui fait dire que nous sommes des diacres atypiques. Au fait, qu’est-ce qu’un diacre typique ? Je crois que personne ne le sait vraiment. Mais si vous le savez, merci de me le dire en commentaires.

Le site Réformés a peint récemment le portrait d’Éric Bianchi, diacre suffragant de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud. Eric a œuvré  auparavant dans la paroisse de Val-de-Travers de l’Église réformée évangélique du Canton de Neuchâtel.

À lire : Du commissariat au parvis.

Je prends le risque de tirer un parallèle entre nos engagements, tout en insistant que nous ne nous sommes pas concertés et que je m’exprime ici en mon nom, me basant sur l’article de Réformés. Ce que j’ai lu, et connaissant un peu Éric, me pousse à poser humblement ces quelques lignes.

Du commissarait au parvis
Article du site Réformés.ch consulté le 6 octobre 2021

Deuxième profession, mais pas deuxième choix

Le diaconat est une deuxième profession. C’est d’ailleurs un prérequis à la formation que d’avoir déjà une expérience professionnelle. Je me souviens que dans ma volée, il y avait entre autres une infirmière, une éducatrice de la petite enfance, moi-même employé de commerce.

Éric lui a été policier. Et comme il le laisse entendre, une sensibilité, un appel peut-être, déjà présent. Je le rejoins dans cette certitude qu’on ne devient pas diacre, pasteur, moine par hasard, même si le chemin personnel et professionnel nous entraîne parfois sur des chemins de traverse. Nos expériences deviennent alors de vrais talents, des compétences que nous pouvons mettre au service d’une Église, d’une paroisse, d’une aumônerie, de frères et de sœurs en humanité. Nous ne venons pas de nulle part et il ne nous est pas demandé de renier qui nous avons été. Bien au contraire !

La question nous brûle les lèvres: passer de flic à homme d’Église, une évidence? Presque. Éric Bianchi ne parle ni de reconversion, pas même de métiers, mais bien de vocations. «Je ne suis pas devenu policier pour casser des portes. Avant d’avoir un rôle répréhensif, la police a une fonction sociale, d’écoute et de respect de chacun», il en est convaincu, le diaconat s’inscrit dans une « continuité».

Réformés.ch

Je ne crois pas non plus qu’on devienne diacre par dépit, ou parce qu’on n’a pas pu être pasteur·e. En tout cas, ce n’est pas mon cas. Si j’ai hésité entre les deux ministères, mon engagement dans une aumônerie a confirmé que mon choix était le bon.

L’écriture comme point commun

L’écriture est un autre point où nous nous rejoignons. Je n’ai pas encore lu le recueil d’Éric (il fait partie de mes titres à lire), mais je suis certain qu’il doit être empreint de ce souci de l’autre, de l’attention portée à ceux et celles de ce monde. Nos expériences du terrain, notre « expertise » de certains milieux, l’accompagnement de publics-cibles particuliers font que nous avons des choses à dire et à partager. Pas seulement dans des rapports d’activités très formels, pas seulement au travers de graphiques et de statistiques. Mais aussi dans les registres de la poésie, du roman, de la nouvelle … Où l’imaginaire est nourri du concret. Où une personne rencontrée peut devenir le personnage d’une histoire, où Dieu peut s’inviter et se révéler au travers et au-delà des mots.

À lire : Au fil de l’eau par Eric Bianchi (disponible notamment chez Payot) et Un jour… La vie 9 courts récits (en téléchargement gratuit sur le site des Éditions SUR LE HAUT).

Voir aussi : Brindilles et Confettis, deux livres de mon ami et collègue diacre lui aussi Renaud Rindlisbacher.

En route vers la rencontre

Lorsqu’il était au Val-de-Travers, Éric et ses collègues ont sillonné les routes pour aller à la rencontre, parfois avec une calèche pour interpeller : une église en route. Le projet a essaimé ailleurs où de pareilles initiatives voient le jour, à l’image du Jura bernois.

La rencontre tout en humanité, teintée d’impuissance et de renoncement parfois, ou d’élans de joie à d’autres moments sont vraiment au cœur de notre ministère.

Comment changer le déni de toute une société qui passe à côté de ses personnes en marge sans même les regarder?» Lucide, donc, Éric Bianchi est habité par une «impuissance personnelle et citoyenne». Pour autant, l’homme ne se démonte pas, balançant entre douceur et humour cinglant.

Réformés.ch

Éric est maintenant à la Pastorale œcuménique de la rue de Lausanne. Je suis à La Lanterne de Neuchâtel, l’aumônerie œcuménique de rue en Ville de Neuchâtel. Des lieux emblématiques, et parmi d’autres, de la rencontre. Il ne s’agit pas de convaincre par de longs discours, ni d’imposer quoi que ce soit (à part un cadre qui permette à chacun·e d’être accueilli·e et respecté·e). Mais accueillir, écouter, accompagner, servir, ça oui !

Serviteur donc mais pas sauveur pour un sou. «Je ne suis qu’un petit homme sans solution miracle.»

Le contraire serait mentir à ceux qu’ils côtoient dans la rue.

Éric Bianchi

Je crois aussi que nous partageons cet engagement à aller vers l’autre avec fort peu de choses, en somme : peu de certitudes, pas plus de réponses, encore moins de conseils. Mais la force d’une présence et d’une écoute. Quelques mots, quand ils sont utiles. Tout cela au nom de ce Dieu de la rencontre dans l’humanité… la plus humaine.

Merci, Éric, d’être qui tu es et au service de ceux et celles que tu côtoies. Bonne route à toi.

Diaconalement à toi.

Image par Alex Fox de Pixabay