Texte de l'Evangile de Luc

Le jour préféré de Dieu

📖 Texte biblique : Evangile de Luc 16, 19-31 (lire en ligne)

Prédication lors du culte du dimanche 28 septembre 2025 au temple de Corcelles (NE). Maryclaude Huguenin à l’orgue.

Une expression peu charitable ?

Chers Amis,

Tout comme moi, sans doute, vous avez déjà entendu cette expression : « Tu ne l’emporteras pas au paradis ! » Peut-être même que, sous le coup de la colère ou d’une vive émotion, vous vous êtes surpris à l’exprimer, la retenant de justesse du bout des lèvres ou la laissant sortir, cette expression « Tu ne l’emporteras pas au paradis ! » Ce n’est pas très charitable, je vous l’accorde, mais parfois les mots dépassent la pensée, donnant libre cours au cœur qui parle. Derrière  ces mots, il y a l’espoir qu’une justice récompenserait les bons et punirait les méchants et que, si cette justice n’est pas pour tout de suite, elle devrait se réaliser dans l’au-delà de la vie.

Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à espérer qu’un jour les privilèges changent de camp et que ceux et celles qui ont souffert retrouvent leur dignité et que ceux et celles qui ont profité expérimentent le manque. Ce ne serait que justice, non ?

Une histoire très simple… Quoique

L’histoire que raconte Jésus à ses disciples semble apporter de l’eau au moulin. Il y a un pauvre qui souffre à la porte d’un riche qui l’ignore. Après leur mort, le pauvre rejoint Abraham « au ciel » et le riche sue et souffre dans le séjour des morts. Bien fait ! Ce n’est que justice, enfin ! Cette manière d’espérer un revirement était courante en ce temps-là dans la pensée populaire et religieuse mais elle ne résout pas la difficulté de compréhension.

Car, méfions-nous des conclusions hâtives. Ne croyons pas trop vite que tous les profiteurs d’hier, tout comme ceux d’aujourd’hui, souffriront après leur mort. Parce qu’en affirmant cela, sans nuance, que fait-on de la grâce de Dieu pour chacun et pour tous ? Irions-nous jusqu’à croire que nos actes garantiraient ou excluraient la clémence divine ?

Si c’était le cas, on ferait alors du Dieu d’amour un simple comptable qui tiendrait le compte de pertes et profits de chacun de nous. Et cette image-là n’est pas la mienne, sans doute pas la vôtre non plus. Il y a donc quelque chose à chercher ailleurs.

Cette histoire – ou parabole – s’inscrit dans un cadre plus large qui pourrait s’intituler « Dieu et l’argent ». Et elle a une dimension symbolique. Ces deux personnages sont des caricatures assez grossières : d’un côté le riche anonyme qui festoie et qui se croit à l’abri de toute vicissitude de la vie et de l’autre, le pauvre Lazare – dont le nom signifie Dieu aide – qui est à sa porte, espérant un petit signe de mansuétude, mais qui a pour seuls compagnons d’infortune des chiens qui viennent le lécher. S’il y a bien un point commun entre eux, c’est qu’ils meurent tous les deux. Il y a au moins une justice ! Nous voilà un peu rassurés.

Une critique

Mais, ce qui se passe après ressemble à un miroir, une sorte de situation de vie inversée : le riche se voit privé de tout privilège, il est seul et souffre de la soif et le pauvre a le privilège lui d’être accueilli par Abraham le patriarche.

A demi-mots, Jésus adresse une critique à ceux qui font de leur situation privilégiée une occasion de se glorifier eux-mêmes. Sans les nommer, il pense aux chefs religieux notamment qui se croyaient à l’abri du besoin et du jugement de Dieu, parce qu’ils étaient du « bon côté ». Ils regardaient alors les pauvres, les mendiants, les malades, les infirmes avec mépris comme des laissés-pour-compte, des impurs dont il ne fallait pas s’approcher, et même détourner le regard. Et Jésus d’identifier Lazare à ceux qui étaient qualifiés de « pécheurs » et qu’il côtoyait volontiers.

Dans l’histoire, Abraham n’est pas avare en reproches : il rappelle au riche tout le bonheur qui était le sien sur la terre et tout le malheur de Lazare.

N’a-t-il pas  droit à une juste compensation bien méritée ? Alors, le riche tente d’infléchir la sévérité du jugement : il ne nie pas qu’il aurait dû agir autrement, mais que si lui ne peut plus rien faire pour les pauvres, alors que quelqu’un d’entre les morts retourne et mette en garde ses frères, afin qu’ils n’agissent pas de même. Mais, à quoi cela pourrait-il servir ? Tout comme le riche, ses frères ont entendu la loi de Dieu exprimée par Moïse et les prophètes qui pourrait se résumer par « Aime ton prochain comme toi-même ». Mais qui dit qu’ils agiraient différemment, alors qu’ils ont cette parole à portée d’oreille ? Sans doute l’histoire se répétera-t-elle une fois encore et encore. De génération en génération… Sans l’exclure totalement, bien sûr. Jusqu’à nous aujourd’hui.

Une histoire pour aujourd’hui

Nous, ce matin, nous  entendons cette histoire. Ne serions-nous pas tentés de vouloir le rétablissement d’une justice divine, devant les échecs de celle des hommes ? L’actualité ne manque pas de nous montrer de tristes exemples d’injustices et même à nos portes. N’avons-nous pas parfois cette pensée que les tyrans de l’histoire devraient souffrir au moins autant du mal qu’ils ont fait ; « Ils ne l’emporteront pas au paradis ! » Nous espérons que tous ceux qui sont morts pour de justes et nobles causes soient récompensés d’une manière ou d’une autre.

Pour ma part, je fais confiance à Dieu. Je lui laisse sa Justice, persuadé qu’elle dépasse toutes mes conceptions de ce qu’est ou pourrait être l’idée même d’une justice véritable.  Mais, je me demande quand même ce qui est à ma portée, ce que je pourrais faire, ici et maintenant.

Car oui, cette histoire m’interpelle moi, nous interpelle nous, aujourd’hui, ce matin.

S’il y a bien un enseignement à retenir, c’est que c’est dans notre quotidien, dans nos engagements, notre travail, notre famille, notre quartier, notre paroisse que nous avons à traduire la parole de Dieu en paroles et en actes, en nous souciant de ceux qui sont à nos portes. Dans le regard de Lazare, je reconnais des hôtes de la Lanterne, l’aumônerie de rue en Ville de Neuchâtel, je revois des visages de pensionnaires de homes, je me souviens de certaines personnes rencontrées qui m’ont partagé leur vécu.

Cette histoire que Jésus raconte n’est pas là pour nous culpabiliser de ne pas en faire assez ou d’avoir trop. Elle n’est pas là non plus pour nous décrire ce qui sera au-delà de notre vie. Mais elle est là pour nous inviter à agir dès aujourd’hui, là où nous sommes, à faire ce qui est à notre portée, à faire un pas, un geste, à risquer une parole pour dire que Dieu aide. Dire, montrer que Dieu t’aide là où tu es, même si cela paraît dérisoire, même si cela est difficile à saisir dans le fond et le tréfond de la pauvreté, pas seulement matérielle.

Cette histoire n’est pas là non plus pour espérer un hypothétique revirement  ou nous convaincre d’une juste rétribution pour plus tard. Mais, pour nous mettre en route dès aujourd’hui, pour que nous regardions notre prochain – le tout proche – comme un frère ou une sœur en Christ et en humanité. Car, ce que j’ai appris en écoutant nos hôtes de la Lanterne, c’est que le seuil est souvent ténu entre un intérieur confortable et un extérieur incertain ; qu’on n’est pas à l’abri d’un coup dur, qu’on peut se retrouver de l’autre côté de la porte. Si on essayait de s’identifier à l’un des personnages, nous sentirions-nous plus près du pauvre Lazare ou du riche anonyme ? Et je crois que là non plus, ce n’est pas qu’une question matérielle, car il y a des pauvretés intérieures, relationnelles, spirituelles. Il est sans doute bon de ne pas l’oublier.

Et ce que j’ai encore découvert c’est la volonté et la force intérieure de certains de se relever pour retrouver un mieux-être et connaître un nouveau départ. Témoins de ces transformations, nous pourrions constater que « Dieu aide », ce ne sont pas que des mots jetés en l’air, que ce n’est pas qu’un vœu pieux.

Pour conclure, ce que nous pouvons retenir de cette histoire, je l’exprimerais ainsi : ne remettons pas à demain tout le bien que nous pouvons faire aujourd’hui. Car, aujourd’hui est le jour préféré de Dieu qu’il choisit pour nous venir en aide. Voilà la bonne nouvelle ! Amen.

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