Texte biblique : Évangile de Matthieu 14, 22-33
22 Aussitôt après, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive pendant qu’il renverrait la foule. 23 Quand il l’eut renvoyée, il monta sur la montagne pour prier à l’écart et, le soir venu, il était là seul.
24 La barque se trouvait déjà au milieu du lac, battue par les vagues, car le vent était contraire. 25 A la fin de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur le lac. 26 Quand les disciples le virent marcher sur le lac, ils furent affolés et dirent: «C’est un fantôme!» et, dans leur frayeur, ils poussèrent des cris. 27 Jésus leur dit aussitôt: «Rassurez-vous, c’est moi. N’ayez pas peur!» 28 Pierre lui répondit: «Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur l’eau.» 29 Jésus lui dit: «Viens!» Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus, 30 mais, voyant que le vent était fort, il eut peur et, comme il commençait à s’enfoncer, il s’écria: «Seigneur, sauve-moi!» 31 Aussitôt Jésus tendit la main, l’empoigna et lui dit: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» 32 Ils montèrent dans la barque, et le vent tomba. 33 Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant Jésus en disant: «Tu es vraiment le Fils de Dieu.»
Des navigateurs connus d’hier et d’aujourd’hui
Chers Amis, chers frères et sœurs,
Sans doute que les noms de Florence Arthaud, Laurent Bourgnon, Olivier de Kersauson, Steve Ravussin ne vous sont pas inconnus. Ceux de Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Magellan, longtemps avant eux, non plus.
Tous ont été ou sont des navigateurs. Tous, ils ont parcouru les océans et les mers. Tous, ils ont essuyé des tempêtes, surmonté des dangers. Tous, ils ont lutté contre vents et marées. Ils sont devenus des héros… Des héros de l’impossible !
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » a écrit, un jour, Mark Twain.
Quand je relis cet épisode des disciples dans la barque, il me vient les noms de ces navigateurs. Quand je regarde des reportages de course à la voile autour du monde, il me vient les noms de ces disciples dans leur barque, se démenant contre les flots, luttant pour ne pas chavirer. Et pourtant, ces disciples étaient pour la plupart des pêcheurs, des marins, des navigateurs aguerris. La mer, ils connaissaient, ce qui ne les empêchaient pas d’être en difficulté. De se sentir bien seuls face aux éléments.
Un mot : la solitude
Quand je relis ce texte, il y a ce mot qui me vient d’abord : la solitude. Celle de Jésus qui, après avoir rassasié les foules, s’en va, s’isole, pour prier au calme. Et celle des disciples qui luttent contre le vent contraire et les flots qui remplissent la barque.
Et je me surprends à penser que nous sommes, nous aussi des navigateurs sur les flots de la vie. Notre foi connaît ces deux moments : la tranquillité de la prière et de la méditation dans une église, chez soi, dans la nature et… l’agitation, parfois tumultueuse, face aux vagues de l’imprévu. Et nous avons à nous démener, à vivre, à tenter de vivre malgré tout avec confiance, entre ces deux extrêmes, nous sentant parfois bien seuls nous aussi.
Les navigateurs professionnels connaissent à leur tour des moments de calme plat, où ils peuvent se reposer, dormir un peu, faire confiance aux instruments, et d’autres où ils sont sur le pont à tenter de maîtriser une voile, à tirer sur un cordage, à s’accrocher à la barre, à essuyer les flots. À faire se confiance tout comme au matériel. S’ils avaient su tous les dangers, se seraient-ils seulement engagés ?
Des questions déstabilisantes
Revenons à cette traversée de l’Évangile. Il me vient alors des questions que je vous partage, qui sont les vôtres peut-être : n’est-ce pas Jésus lui-même qui a pressé ses disciples de prendre le large ? Savait-il qu’une tempête allait se lever ?
Jésus serait-il à ce point sadique qu’il envoie ses amis au casse-pipe, dans une barque et sur une mer qui allait se déchaîner ?
A-t-il voulu éprouver la confiance de ses amis, voir s’ils avaient enfin compris qu’il est le Sauveur ?
A-t-il cherché à être adoré parce qu’il les aurait sauvés du naufrage ?
Des réponses qui stabilisent, vraiment ?
Non, non, trois fois non ! La tempête n’est pas une punition de Dieu, elle est inhérente au monde et à celui de la mer en particulier. Elle en fait partie, voilà tout.
Prétendre le contraire, ce serait faire de l’envoyé de Dieu, de Jésus, un sauveur qui met à l’épreuve. Un sauveur qui ne réserverait le salut qu’à ceux qui le méritent seulement, à ceux qui auraient prouvé qu’ils étaient à la hauteur.
Jésus ne met pas à l’épreuve, Jésus n’exige pas de nous que nous atteignions des sommets, que nous soyons des modèles de courage, des héros de la foi. Mais au contraire, il nous rejoint dans nos épreuves, dans nos fonds et nos tréfonds. Là où notre confiance est sur le point de sombrer. Il vient pour nous rassurer : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » Facile à dire, surtout si on est capable de marcher sur les eaux !
Une réponse… Une preuve ! Pas si vite !
Alors, Pierre veut en avoir le coeur net : « Si c’est bien toi… » Comme si ses yeux pouvaient le tromper, comme si les disciples étaient soudainement victimes d’une hallucination : un fantôme, un esprit… « Si c’est bien toi… »
Plutôt que de nous abandonner à la confiance, contre vents et marées, nous avons besoin de mettre des mots sur l’incompréhensible, sur ce qui échappe à notre logique. Même si ces mots n’en disent pas plus d’ailleurs : un fantôme, un esprit.
Nous avons besoin de nous accrocher à ce qu’on croit savoir.
C’est normal, c’est humain.
Combien de fois mettons-nous à notre tour Dieu à l’épreuve de nos certitudes ? Combien fois exigeons-nous de lui une confirmation, un signe de sa présence ? « Si c’est bien toi… »
Oui, c’est bien lui, lui qui nous rejoint, lui qui nous rassure, lui qui affermit notre confiance. Lui qui nous appelle à la confiance, même si cela nous paraît impossible.
Pierre, qui veut en avoir le coeur net, demande à reculer les frontières de l’impossible : à avancer sur les eaux, à affronter le danger au plus près, à quitter le frêle esquif, son seul abri, pour rejoindre son Maître là où il est, là sur les flots. Imaginez un instant : sentez-vous le vent qui fouette vos visages ? Sentez-vous les embruns qui vous mouillent ?
Et Jésus l’invite à le rejoindre, avec un calme qui contraste avec l’agitation du moment : « Viens… » Un mot, un simple mot, un mot trop simple, un mot qui résonne comme une évidence et qui, pourtant, est une invitation à repousser les limites de l’impossible. Un mot qu’on peine à entendre dans le tumulte de la vie.
« Viens là où je suis et là où tu as peur d’aller. »
« Viens me rejoindre en paix, contre vents et marées. »
« Viens, confiance. Fais-moi confiance. Fais-toi confiance ! »
Pierre : notre frère, notre reflet
Nous avons tôt fait de blâmer Pierre pour son manque de foi. Nous avons tôt fait d’en faire l’exemple du croyant qui doute. Ça a failli lui jouer un mauvais tour…
Mais, aurions-nous été aussi courageux que lui ? Aurions-nous sauté le pas du bastingage ?
Ne lui ressemblons-nous, un peu du moins ?
« Seigneur, si tu étais là… », « Si c’est bien toi… », « Si Dieu ceci, si Dieu cela … »
Ce tableau brossé par Matthieu nous en dit beaucoup à propos de notre humanité, à propos de notre condition humaine : il en dit beaucoup de nos instabilités, des tempêtes (parfois celles que nous créons nous-mêmes ou celles qui nous noient dans un verre d’eau), des vents contraires et des vagues que nous recevons en pleine figure, des obstacles que nous affrontons…
Les navigateurs du passé, ceux d’aujourd’hui, ceux que nous sommes avons des compétences qui nous permettent d’affronter les épreuves, mais nous avons aussi à faire confiance, à compter sur Celui qui vient à la rencontre pour nous redonner confiance.
Quelques questions pour finir…
Facile à dire, même devant vous. Facile à croire ? Arrêtons un instant le flot de nos pensées et posons-nous ces questions :
Sommes-nous prêts à accueillir Jésus dans notre barque ?
Sommes-nous prêts à naviguer avec lui ?
À lâcher la barre de nos certitudes ?
À lui faire suffisamment confiance pour répondre à son appel et aller là où il nous attend ?
À le laisser calmer nos tempêtes et à reconnaître qu’il est vraiment le Fils de Dieu ?