Des pierres. Oui mais de chair !

Qu’est-ce qu’on regarde?

Les images n’auront échappé à personne. Ce lundi soir, tous les projecteurs étaient braqués sur les deux tours de la cathédrale Notre-Dame de Paris, comme à une autre époque sur les Twin Towers. Les journaux télévisés en ont fait leur une. Cet incident a occupé toute la place, à tel point que l’allocution du chef de l’État a été annulée et reportée à des lendemains flamboyants.

Mais qu’est-ce qu’on regarde au fait ? Qu’est-ce qu’on nous oblige à regarder, à contempler ? Un incendie. Ne sommes-nous pas soudain surpris à être voyeurs ? Pourquoi cet incendie focalise-t-il tous les regards ? Est-ce parce qu’il touche un haut lieu de la religion catholique française ? Est-ce parce que nous sommes au début de la Semaine Sainte ? Est-ce parce qu’on croyait Notre-Dame indestructible, puisqu’elle avait résisté au temps et à ses affres ?

On s’inquiète au passage des risques pour nos édifices religieux. Et si…

Plus rien ne sera comme avant!

« Nous la rebâtirons d’ici cinq ans ! » dira le soir même devant les médias le président Macron. Et les dons affluent de toutes parts, lançant du même coup la course à qui donnera le plus, avec le plus de zéro. On apprendra aussi que cet argent peinait à être débloqué en temps normal.

Aujourd’hui, on pleure sur des chênes plusieurs fois centenaires partis en fumée. On se souvient des compagnons et bâtisseurs qui se sont lancés dans la construction de cette bâtisse et qui n’en ont pas vu la finition. On se souvient de Quasimodo et d’Esméralda.

Dans le feu de l’action, on est parvenu à sauver des reliques (!) La croix et l’autel sont restés debout (!) Les statues des apôtres et des quatre évangélistes avaient été démontées quelques jours auparavant. Et le coq de la flèche a été retrouvé quasi sain et sauf. Certains y verront la main bienveillante du Divin. Des rosaces de vitraux ont été préservées. Comme des signes que tout n’est pas anéanti, que l’espoir est permis et doit même soutenir les croyants. Et surtout, il n’y a pas eu de morts. Sans doute est-ce là l’essentiel.

Une actualité criante

Je ne peux m’empêcher d’entendre, au-delà des images rougeoyantes des paroles entendues la veille lors de la fête des Rameaux. Les larmes de Jésus sur la ville de Jérusalem, la prédiction d’un abandon et d’une destruction telle qu’il ne restera plus pierre sur pierre (Luc 19, 41ss). À Paris, il ne reste plus poutre sur poutre. Je perçois des échos de cet émerveillement des disciples devant les belles pierres du Temple de Jérusalem, lieu emblématique de la présence du Divin sur terre. Et la réponse cinglante de Jésus : « Il ne restera pas pierre sur pierre ! » (Marc 13) Ou encore ces paroles qui ont conduit Jésus de Nazareth à être condamné : « Détruisez le Temple et je le reconstruirai en trois jours« (Jean 2, 19ss).

Il faudra plus que trois jours, et même plus que cinq ans, pour rendre à Notre-Dame sa superbe d’antan.

Et maintenant? Et moi?

Et maintenant ? Maintenant, je prends un temps pour laisser d’autres paroles nourrir et habiter ma réflexion et ma méditation. Il y a celles de l’apôtre Pierre invitant à devenir, nous pierres vivantes, un édifice spirituel. (1 Pierre 2, 5). Ou l’apôtre Paul qui écrit aux Corinthiens que le corps (humain) est le temple du Saint-Esprit (1 Corinthiens 6, 19). Je laisse aussi monter cette pensée que Dieu n’habite pas une maison de pierre, fût-elle grande et merveilleuse, construite à sa gloire, mais le cœur de chacun. Que rien n’est sacré sinon Dieu (1 Samuel 2,2).

Il me vient alors des visages, inconnus pour la plupart, qui sont ceux qui souffrent ou qu’on fait souffrir. Je devine des êtres dont la dignité a été bafouée et anéantie, et même entre les murs de l’Église. D’autres dont le cœur saigne ou brûle de douleurs, de colère, de remords. C’est à eux que va ma prière. C’est vers une solidarité authentique et humaine pour eux tous que devraient aller les millions promis, même si, et on le sait, toute une fortune ne pourra pas effacer les blessures et les infamies.

Enfin, je me tais. J’en ai sûrement trop dit. Je laisse le dernier mot à Dieu, à ce Tellement-Autre qui change les cœurs de pierre en cœurs de chair (Ezéchiel 36,36). À celui qui n’est ni dans un feu destructeur, ni dans une pluie opportune, mais dans l’intime de chacun et qui murmure son amour inconditionnel dans le bruit d’un fin silence (1 Rois 19, 11-12). À celui qui n’est que vie au-delà de tout.

Source de l’image d’en-tête : pixabay.com

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