Texte biblique : Évangile selon Luc 23-33-43.
Tout part d’un texte, d’une maxime, puis d’une autre.
Chers Amis,
Pour le message de ce matin, j’aimerais m’attarder sur deux maximes qui ont nourri ma réflexion. Deux maximes qui ont des allures de jugement définitif et à l’emporte-pièce. La première : « Tout se paie un jour! » Une sentence qui nous fait certainement réfléchir à deux fois avant de nous risquer à prendre des initiatives. Un avertissement qui nous fait plutôt renoncer, parce qu’on n’a pas du tout envie de payer le prix fort.
C’est ce qui m’est venu d’abord à la lecture de l’Évangile de Luc relatant la crucifixion de Jésus : « Tout se paie un jour! » Les enseignements du prophète, les signes de guérison, le fait qu’il parle au nom de Dieu, les risques qu’il pouvait faire courir à la Paix romaine, ses critiques envers des religieux plus attachés à la Loi qu’à l’amour du prochain ont fini par payer : jugement, condamnation, crucifixion. Et comme si tout cela ne suffisait pas, moqueries et blasphèmes des chefs religieux, des soldats et d’un des malfaiteurs pendus aux côtés de Jésus.
C’est peut-être ce que l’histoire a retenu de l’événement de ce jour-là au lieu-dit Le Crâne.
C’est sans doute aussi le sens que les profanes ont donné à la mort de Jésus : le moyen d’empêcher un « agitateur » de faire trop de remous dans une société où couvaient des envies de révolte.
Sa mort serait ainsi la solution pour éviter toute rébellion dans le fragile équilibre entre juifs et pouvoir romain. Jésus n’était sans doute pas le seul trublion de son état. Il y en a eu d’autres, notamment un certain Barabbas. Paix diplomatique plutôt que liberté.
C’est alors que certains courants de pensées ont pris le relais, en accordant un prix considérable à la mort de Jésus.
Dieu? Mais quel Dieu?
Il aurait été la victime « expiatoire » qui devait payer pour les péchés du monde. Dieu aurait eu besoin de la mort de son propre Fils pour pardonner les péchés du monde.
Quel est ce Dieu qui réclame des souffrances, du sang et la mort, à mille lieues du Dieu d’amour annoncé par Jésus lui-même? Rétribution plutôt que grâce.
Et si sa mort était alors le don ultime? Jésus est allé jusqu’au bout de l’amour dans un monde qui a tant peiné à l’accueillir et à le reconnaître. Jésus a donné sa seule richesse, son seul bien : sa vie, non pas en rançon, mais comme un don, une grâce, montrant au passage toute l’absurdité et le non-sens de la violence. L’amour donné comme une réponse à cette violence. L’amour plutôt que la haine.
« Tout se paie un jour! », mais dans l’esprit et la logique de Jésus, le prix, c’est celui de l’amour, de la grâce et du pardon.
Une réponse qui brise la logique du mérite et l’image d’un Dieu qui juge ou d’un Dieu comptable qui tiendrait les pertes et profits de chacun, ne ratant aucune occasion de pointer là où cela fait mal.
Cette image-là est d’un autre temps, celle où on croyait encore qu’il fallait gagner son Paradis à la sueur de son front, au prix d’efforts surhumains. Cette logique qui concluait qu’on n’était jamais à la hauteur de Dieu.
Tout cela est dépassé et heureusement.… Pour Dieu et pour nous!
Mérite, quand tu nous tiens
L’autre expression est venue alors titiller ma réflexion, comme en écho à la première, plus forte encore. Une expression souvent mal comprise. « Qu’a-t-il fait pour mériter cela? »
Il? Jésus, bien sûr. Oui, mais pas que.
Jésus d’abord. Qu’a-t-il fait pour mériter cette condamnation?
Il a annoncé un Dieu d’amour pour tous, et peut-être un peu plus pour tous ceux dont on disait qu’ils ne méritaient pas d’être aimés.
Il a annoncé un Royaume où les petits, les sans-noms, les prostitués et les collecteurs d’impôts seraient accueillis avant les notables et les chefs religieux.
Il a rendu la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la mobilité à ceux qui étaient paralysés, la vie à ceux qu’on conduisait au tombeau.
Tout cela méritait-il la mort? Sûrement pas.
Mais il a aussi été radical dans ses appels: Quitter père et mère pour le suivre, laisser les morts enterrer les morts, porter sa croix, perdre sa vie…
On l’a entendu. Certains l’ont écouté au point de tout quitter pour le suivre. D’autres n’ont pas voulu ou pas pu, parce que l’appel au changement leur coûtait trop. Pensez, par exemple, à ce jeune homme riche qui s’en va tout triste, parce qu’il a de grands biens. D’autres encore ont flairé la raison de l’arrêter.
Tout cela méritait-il la mort ? Et une mort sur la croix? Tout cela méritait-il de telles moqueries? Jusqu’à mettre Dieu à l’épreuve : « Sauve-toi toi-même! »
Réponse des hommes vs réponse de Jésus
S’attaquer au Temple, présence évidente de Dieu, parler de sa destruction et affirmer le reconstruire en trois jours. Voilà ce qui a tout déclenché. Voilà ce qui a conduit Jésus devant le tribunal et au supplice.
Mais sur la croix, la réponse de Jésus déroute, une fois de plus : plutôt que de laisser la place à un silence douteux qui aurait ouvert la porte à toutes sortes d’interprétations : pourquoi ne répond-il rien ? Pourquoi ne se sauve-t-il pas et nous avec ? Il en appelle au pardon pour ceux qui l’entourent et se moquent : « Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Qu’a-t-il fait pour mériter cela ? Il est allé jusqu’à donner l’amour le plus profond, celui que Dieu donne sans contrepartie.
« Qu’a-t-il fait pour mériter cela ? »
Jésus? Non, l’autre. Qui? L’un des malfaiteurs.
On ne connaît pas le motif de leur condamnation à tous les deux, mais l’un affirme que, pour eux, c’est mérité, eux ils paient, alors que Jésus est innocent.
Ce malfaiteur en appelle au souvenir de Jésus, un jour, dans longtemps peut-être, quand il sera roi. Il est au seuil de la mort. Il espère qu’il ne sera pas oublié. Combien comme lui ont lancé cet appel : « Seigneur, souviens-toi de moi »?
Mais, Jésus lui fait une promesse: « Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis. » Pas demain, pas après-demain, la semaine prochaine ni aux calendes grecques.
Non, aujourd’hui! Aujourd’hui, tu me rencontres dans la présence aimante du Père. Aujourd’hui, tu es accueilli comme enfant du Père, comme mon frère. Aujourd’hui, tu es reconnu et aimé comme tu es, comme tu l’as été de tes parents, ou peut-être comme tu ne l’as jamais été auparavant.
Autant de manières de parler du Paradis.
Qu’a-t-il fait, ce brigand, pour mériter cela ? Rien. Il n’a rien pu faire pour prouver qu’il méritait la considération et l’accueil de Jésus. Il n’a rien pu donner.
Il a juste adressé une prière de miséricorde, sans doute balbutiée, murmurée dans une confiance chancelante. Et c’est déjà beaucoup. Il l’a adressée, sa prière, comme un cri de désespoir, comme un ultime appel au secours, une miette de confiance, « Souviens-toi… »
Et il a été entendu. Il reçoit la promesse pour son aujourd’hui. Et je crois qu’il a été exaucé. Jésus ne l’a pas oublié. Il s’est souvenu de lui. Il l’a accueilli dans la Présence du Père.
Le Paradis n’est ni perdu ni à attendre. Il est là et c’est aujourd’hui.
Et nous ? Qu’en est-il de notre aujourd’hui ?
Nous allons entrer la semaine prochaine dans le temps de l’Avent, le temps de l’attente de la naissance du Sauveur. Le temps de l’aujourd’hui de Dieu aussi.
Un temps pour nous préparer à l’accueillir dans nos vies, parfois trop secouées, parfois trop ennuyeuses. Nous préparer, cela ne veut pas dire se mortifier ni se culpabiliser de ce que nous aurions peut-être mal fait, pas fait, dû faire autrement. Mais se réjouir du don d’amour du Père pour chacun de nous. Ça a l’air simple, trop simple…
Alors, il se peut que cette question résonne : « Qu’ai-je fait pour mériter cela, la grâce et l’amour de Dieu ? »
La réponse est évidente, elle tient en un mot : rien. Parce que Dieu n’exige rien de nous, comme préalable à sa grâce. Il nous la donne, tout simplement, parce qu’il nous aime et parce qu’il croit en nous.
Lui le premier nous fait confiance. Lui le premier vient à notre rencontre, et sans doute encore plus dans nos moments difficiles, au creux de nos blessures. Et pour ne pas nous effrayer, il vient en un enfant, signe de fragilité et d’avenir, don d’amour qui ne demande qu’à grandir en nous.
Son amour pour nous, il nous l’offre avec cette promesse : « Aujourd’hui déjà, tu es avec moi au Paradis. »
Amen.
L’image qui illustre cet article a été prise au Creux-du-Van. À bien y regarder, on distingue, sur la droite, une croix. On y voit la lumière qui s’insinue par un passage; une manière d’exprimer que l’espoir est toujours permis. Mais tout cela n’est qu’interprétation.