Une question piège

Il y a quelques jours, j’ai lancé cette question en vue de la rédaction de cet article :

Que pourrait être un diacre ?

Les réponses ont été variées, mais surtout, elles m’ont (dé)montré que si la question dérangeait, elle n’en était pas moins importante. Mais elle est piégeante, voire piégée.

En effet, soit elle renvoie à une définition par trop généraliste du portrait diaconal tel qu’il est défini par l’office qui le forme, soit elle m’entraîne sur le terrain glissant de la Dispute ecclésiologique, tant les compréhensions sont plurielles.

Alors, j’aurais pu refermer la question, et j’y ai pensé, et passer à autre chose. Ou, reprendre les quelques pistes de réponses reçues en commentaires sur Facebook. C’est ce que je fais ici. Surtout que sur ce blog, je peux m’exprimer en mon nom.

Merci au passage à ceux et celles qui ont pris la peine de participer à la discussion.

Donc voici, ce que pourrait être un diacre :

1. Décomplexé

Voilà qui met le doigt sur ma manière de me définir et de me présenter comme diacre. Je souffre, quand même et malgré tout, d’un complexe d’infériorité par rapport à la figure du pasteur. Même si, la plupart de ceux et celles que j’ai rencontrés ne me l’ont jamais fait sentir. Ça doit être une question de confiance en soi.

Il y a peu, un collègue catholique me demandait si, en tant que diacre, j’étais subordonné au pasteur, s’il était mon chef. Non, lui et moi, sommes sur un pied d’égalité, au moins en théorie. Ça tient à la structure différente de nos Églises catholique et réformée. Mais, j’ai parfois ce sentiment que lui en sait plus que moi et qu’il pourrait me le faire remarquer. C’est sans doute vrai. Mais lui, pourrait bien penser la même chose de moi.

2. Parfait

Voilà qui me plaît, car je suis parfait !

Mais non, je plaisante. Vous connaissez certainement la boutade : « Le Parfait n’existe qu’en tube ! » Note pour mes lecteurs non-suisses : Le Parfait est une pâte à tartiner à base de foie.

Mais si je comprends « parfait » au sens biblique d' »accompli », alors je me considère toujours en voie d’accomplissement. Je ne recherche pas la perfection, qui n’est pas de ce monde, mais j’aspire à cet horizon de l’accomplissement, d’une manière de devenir qui je suis, sans complexes. Et ce qui fait le coeur de mon engagement, la rencontre, me permet de viser cette horizon.

3. Humain

C’est tellement évident que je n’y avais pas pensé. Mais, toutes mes expériences m’ont conduit à vivre l’humanité au plus près, à l’accompagner jusqu’à son terme, à cheminer et à être bousculé par des questions qui se posent justement quand on touche à cette frontière entre vie et mort.

J’ai été amené à visiter la mienne d’humanité en particulier. Être humain, c’est certainement le meilleur moyen d’être parfait, reconnaissant mes limites, mes forces, mes faiblesses, mon potentiel, mes qualités et mes défauts.

4. Heureux

Être heureux, c’est bien plus qu’éprouver de la joie. J’aime beaucoup la traduction des Béatitudes par André Chouraqui : il remplace « Heureux » par « En marche ». Cela me parle, car un diacre est en mouvement, il évolue, il progresse, il s’accomplit. Il devient de plus en plus, et sans doute de mieux en mieux, lui-même. Et un pasteur ? me direz-vous. Aussi sans doute.

Heureux, c’est être bien dans ses baskets, à l’aise dans mes engagements, avec un grain de créativité et de folie, parfois ou souvent bridées par l’institution ou les besoins à combler. Car tout le monde comprendra qu’il est plus urgent d’assurer un culte dominical plutôt que d’esquisser les contours d’un projet de lieu d’écoute qui peut facilement être reporté à (beaucoup) plus tard.

5. Dérangeant

Un grain de sable dans les rouages. Un caillou dans la chaussure. Une écharde dans la chair (pour reprendre des propos de Jean-Jacques Beljean dans la revue Itinéraires n°82 de 2013). Voilà aussi ce que pourrait être un diacre.  Sa vocation sera celle de rappeler que l’Église n’est pas seulement faite de célébrations et que l’œcuménisme ne se manifeste pas que dans des liturgies policées. D’ailleurs, les liturgies ont une portée diaconale, puisque que la signification est « service du peuple ». L’Église avance sur deux jambes : la proclamation de la Parole et le service au prochain. Il me semble que pendant ce temps de confinement, les paroisses, et nous, avons mis beaucoup de forces et de ressources dans le cultuel. C’est bien, mais n’avons-nous pas sautillé sur un pied ?

Le diacre amène le monde. Ne comprenez pas qu’il devrait remplir les temples et églises, mais il rappelle que la paroisse a le souci de s’ouvrir au monde environnant plutôt que de se refermer sur elle-même et sauver ses membres les plus fidèles.

C’est aussi lui qui, dans le sens inverse, amène l’Église là où elle n’est pas ou plus, ce qu’on appelle les marges : les institutions de soins, les prisons, la rue, les migrants et d’autres encore.

Assumant un rôle d’aumônier, il sera aussi cette voix qui dérange, qui met le doigt là où ça fait mal, qui rappelle des valeurs aux institutions. Ou il deviendra le porte-parole de ceux qui n’ont que le droit de se taire.

6. Corvéable ?

Le diacre serait-il la bonne à tout faire de l’Église ? Certainement pas. Il en est un de ses ministres à part entière, mais pas toujours reconnu comme l’égal des pasteurs.

J’ai assumé beaucoup de fonctions différentes, rendu de multiples services, endossé des responsabilités, parce que j’avais des compétences dans des domaines particuliers. Je n’ai pas toujours su dire non. Encore un problème de confiance en soi ou de complexe. J’en ai retiré de la satisfaction, souvent; du succès parfois, de la reconnaissance, pas toujours.

Conclusion

La discussion n’est certainement pas close. Elle peut d’ailleurs se poursuivre par vos commentaires. Je le souhaite. Mais, la question reste ouverte. Tant mieux.

Ces quelques réflexions sur le vif font écho à ce que je pouvais imaginer avant de me lancer dans le diaconat.

Et si la réponse était toute simple finalement ? Être vivant, confiant et conscient de mes qualités et de mes défauts, aimer les autres et vivre tout simplement. Les réponses arriveront quand elles arriveront.

 

[Cet article peut être modifié par vos commentaires].

3 commentaires

  1. Bonjour,
    Merci de votre commentaire.
    D’abord, bravo de vous intéresser à la théologie et au pastorat. Je vous partage la réponse d’une de mes collègues, Carolina Costa.
    Ensuite, je vous donne ici quelques informations en lien avec la formation pastorale en Suisse romande, reconnue par les Églises réformées. Vous trouverez un descriptif sur le site de l’Office protestant de la formation et les détails du cursus de formation. Le master universitaire est un pré-requis.
    Il y a des Églises de tendance plutôt évangéliques qui ont élaboré leur propre cursus, mais cette formation n’est pas (encore) reconnue par les Églises cantonales.
    Bonne suite à vous.

  2. merci c’est noté ^^ , j’ai posé la question a vrai dire par simple curiosité , c’est très intéressants de comprendre comment fonctionne les institutions .

Les commentaires sont fermés.

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