Des questions nourrissantes pour notre foi

Deux pains dorés sur la table

Pour le culte de ce 4e dimanche du temps de carême, j’ai choisi de méditer sur le texte du jour : la multiplication des pains, telle qu’elle est rapportée par l’Évangile de Jean (6, 1-15). Dans ma réflexion, il y a eu des questions, une surtout qui est revenue, obsédante. Je l’ai alors pétrie et laissé lever comme la pâte du pain avant de l’enfourner. Je l’ai ensuite partagée comme un morceau de bon pain :

QUI ES-TU ?

Chers Amis,

Voilà un texte nourrissant, et pas seulement parce qu’il parle de pain, mais parce qu’il ouvre à des questions. Des questions ont nourri ma réflexion. Une en particulier. Une question jamais posée dans ce texte, mais qui est revenue souvent dans mon esprit. Une question que j’ai pétrie. Que j’ai laissé lever comme la pâte du pain avant de le mettre au four. Une question que je partage avec vous comme une bouchée de bon pain.

Qui es-tu ?

Toi, ce garçon avec entre tes mains cinq pains d’orge et deux poissons ? Ton nom ? De qui es-tu le fils ? D’où viens-tu et où vas-tu ? Tu resteras pour nous un anonyme. On ne sait de toi qu’une seule chose : tu as les mains pleines. C’est sans doute le repas que tu as acheté au marché pour ta famille : tes parents, tes frères et sœurs.

En allant au marché, tu n’avais certainement pas idée que cette nourriture allait être « réquisitionnée » par Jésus et ses disciples pour nourrir 5000 personnes. D’ailleurs, c’est tout simplement impossible ! Tu le sais bien. Et pourtant.

Que t’arrivera-t-il quand tu rentreras chez toi ? Les mains vides ou pleines des restes du repas ?

Est-ce qu’on te croira quand tu raconteras qu’une foule a été nourrie avec ce que tu avais destiné à ta famille ?

Toi, garçon, tu nous enseignes que nous ne savons jamais d’avance de quoi la journée sera faite et ce que nous pourrions offrir autour de nous pour rassasier ceux qui ont faim. Il ne s’agit pas seulement d’une nourriture solide, mais sans doute bien plus aujourd’hui, de liens d’amitié, de présence et d’écoute, d’accueil et de solidarité qui ont le goût du bon pain.

Mais, me direz-vous, nous n’avons pas grand-chose à donner. C’est vrai, mais ce peu est déjà suffisant pour toucher à l’abondance.

Nous avons déjà expérimenté cette situation où, à la fin d’une rencontre, nous nous quittons enrichis et nourris, alors que nous avions l’impression de n’avoir que peu, voire rien à donner.

Tout ne dépend pas de nous seuls et heureusement !

Qui êtes-vous ?

Vous les disciples Philippe et André.

Toi Philippe, tu es pragmatique. Tu laisses parler la raison et la logique. Car même si tu disposais d’une fortune, l’équivalent de 200 jours de travail, tu ne parviendrais pas à nourrir à satiété toute cette foule. La question que le Maître te pose : « Où allons-nous acheter des pains pour qu’ils mangent ? » te renvoie à une pauvreté matérielle. Et d’ailleurs, est-ce que la région suffirait à rassembler des pains pour autant de personnes ? L’équation est insoluble ! Tu le vois bien.

Toi André, tu es un peu plus optimiste. Tu entrevois une solution qui paraît… si dérisoire. Mais bon, c’est toujours mieux que rien : il y a un garçon qui a des provisions. Au moins, pourrait-on donner à certains, pas à tous, évidemment : « Mais, [ces pains, ces poissons], qu’est-ce que c’est pour autant de gens ? »

Vous, Philippe et André, vous nous ramenez à la réalité des choses. Si tout ne dépend pas de nous seuls, il y a des limites qui paraissent infranchissables. Nos moyens personnels ne pourront pas sauver le monde.

Aux nombreuses sollicitations que nous recevons pour venir en aide aux populations meurtries, privées de l’essentiel ou en quête d’un toit, nous pourrions bien répondre, à notre tour, que nous n’avons pas assez. Et que nos maigres moyens permettront peut-être, peut-être seulement, de n’aider qu’un tout petit nombre et pour un temps limité.

Mais, nous ne sommes pas seuls. Et heureusement.

Au passage, j’aime bien ce mot d’un anonyme : « Que ceux qui pensent que c’est impossible n’empêchent pas les autres d’essayer » qui rejoignent ceux de Mark Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, c’est pourquoi ils l’ont fait. »

Qui es-tu ?

Toi. Jésus.

A croire les foules, tu es celui qu’on attend comme le messie. Parce que tu as guéri des malades. Parce que tu as enseigné, tu rappelles ainsi ceux qui t’ont précédé dans l’histoire d’Israël : Moïse, Elie, Elisée et les autres.

Que fais-tu, Jésus ? Tu prends ce qui est là à disposition : cinq pains et deux poissons. Et tu remercies Dieu.

Tu ne vois pas la pauvreté de ces aliments. Tu t’en remets à Dieu ton Père, parce que tu sais que rien ne lui est impossible. Tu montres ainsi aux foules un Dieu généreux, au-delà de la raison, jusqu’à l’extrême. Un Dieu qui ne se contente pas de nourrir ceux qui sont là, mais qui donne encore des restes pour tous ceux qui ne sont pas là.

En donnant le pain, tu veux faire lever les yeux de la foule non pas sur toi-même, mais sur Dieu. Le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob. Le Dieu de ton histoire, et de la nôtre. Ce Dieu qui a libéré les ancêtres du Pays d’Egypte. Ce n’est pas un hasard si on est à quelques jours de la pâque qui rappelle cet événement libérateur et fondateur ?

Et la foule, justement. Oui, toi la foule, qui es-tu ?  Tu es composée de 5000 hommes au moins, sans compter les femmes et les enfants sans doute.  Tu vois en Jésus le messie annoncé par les prophètes. Tu ne perçois dans ses signes que la confirmation de ce que tu veux croire : il est celui qui doit venir dans le monde pour rétablir la royauté d’Israël, pour faire la révolution. Tu veux un roi. Comme ceux du monde, un roi à la Hérode… plus fort que les autres. Tu attends, tu espères le changement… Enfin.

Et nous ? Nous aujourd’hui. Oui, nous. Qui sommes-nous ?

Sans doute ressemblons-nous à ce garçon, avec dans nos mains, nos bouches et nos cœurs quelque chose à donner. Un petit peu qui pourrait bien avoir de grands effets, sans que nous ayons conscience.

Nous pourrions bien ressembler à Philippe. Notre raison nous montrant les limites du raisonnable : nous ne sommes pas tout-puissants, sauveurs du monde. Ou alors à André, doués d’un optimisme mesuré, conscients qu’on peut partager un peu, mais pas tout ni à tous.

Au Christ ? Qui croit qu’avec presque rien, on peut faire beaucoup, parce que Dieu pourvoira.

Ou encore aux foules ? Peut-être avons-nous reçu ou allons-nous recevoir ce qui rassasiera nos faims de toutes sortes : matérielle, humaine, spirituelle.

Cette question nous accompagne et nourrit notre foi, nos rencontres et toute notre vie sans jamais vraiment nous rassasier. Elle nous laisse sur notre faim. Et tant mieux ! Cette question nous l’adressons à Dieu et, à son tour, il nous l’adresse à chacun de nous : Qui es-tu ?

Amen.

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Photo personnelle : il n’y a que deux pains et non cinq.

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