Deviens qui tu es

Surfer sur l'océan de la vie
Éduquer, c'est laisser l'enfant surfer

Je poursuis mes réflexions à partir du livre Exister, du psychiatre Robert Neuburger, et notamment la mise en perspective des types de relations interpersonnelles qu’il relève en lien avec Dieu et ma foi.

Dans cet article, je me penche sur la relation d’autorité de personne à personne1.

J’ai d’abord imaginé parler de l’image du Père, en lien avec une relation paternelle, mais je me suis vite rendu compte que j’allais tomber dans une dichotomie père-mère, masculin-féminin, qui n’est pas voulue par l’auteur.

Neuburger préfère parler de relation d’autorité que de relation paternelle. Selon lui, il s’agit ici de rôles assumés, indépendamment du genre.

De l’autorité nécessaire

Lisons Neuburger :

La relation d’autorité peut être définie comme une relation (…) asymétrique, où l’un dispose d’une autorité qui lui et conférée de par sa position de parent qui implique une responsabilité éducative qu’il ou elle doit exercer et qui doit être reconnue socialement, et l’autre, l’enfant, lui devant respect et obéissance.

Exister, p. 26.

En tentant de mettre la définition proposée par Neuburger en regard de notre société actuelle, on se rend vite compte qu’il a raison : les différents modèles de familles d’aujourd’hui montrent combien ce rôle est aussi assumé par des femmes, des mères, des sœurs, des partenaires.

Au sein de la famille, s’il y a une relation nourricière qu’on verra comme celle qui donne un sentiment d’existence par un lien fusionnel, il y en a une autre, celle d’autorité, qui tend à mettre un cadre, à fixer des règles, à différencier ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Ça fait partie de l’éducation. D’ailleurs, on le sait bien : éduquer, c’est aimer.

Un regard d'enfant

On comprend aisément qu’un enfant ait besoin tout à la fois de lait et de règles pour se construire. Et se construire, c’est aussi devenir qui on est appelé à être. Ainsi, l’autorité n’est pas seulement restrictive, mais ouvre à un avenir en tant qu’individu. Si l’autorité infantilise, elle glisse alors vers l’autoritarisme.

Je vais essayer de mettre en perspective cette compréhension de l’autorité avec celle exercée par Jésus. Ce sera un survol plus qu’une étude approfondie.

L’autorité de Jésus

Jésus et les chefs religieux

Jésus va se frotter à des responsables religieux, notamment les scribes et les pharisiens qui font autorité. Il montrera à plusieurs reprises son désaccord avec leurs pratiques, les qualifiant d’ « aveugles qui guident d’autres aveugles » ou d’« engeances de vipère ».

Ce qui est en jeu ici, c’est la priorité mise par les responsables au strict respect, à la stricte obéissance, des préceptes de la Loi. Ils comprennent, ou font comprendre, cette Loi comme une liste de permis-interdits, au risque d’en perdre le sens premier, notamment concernant le sabbat, le jour dédié à Dieu. Jésus rappellera d’ailleurs que :

(27) le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, (28) de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat.

Marc 2, 27-28.

Une interdiction

Une parole qui fait force

D’autres épisodes des Évangiles montrent un Jésus qui fait preuve d’une autorité qui étonne ceux qui en sont témoins.

(21)… À Capharnaüm, le jour du sabbat, Jésus entra d’abord dans la synagogue, et il enseigna. (22) Ils étaient frappés de sa doctrine; car il enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.(23) Il se trouva dans leur synagogue un homme qui avait un esprit impur, et qui s’écria: (24) Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es: le Saint de Dieu. (25) Jésus le menaça, disant: Tais-toi, et sors de cet homme. (26) Et l’esprit impur sortit de cet homme, en l’agitant avec violence, et en poussant un grand cri. (27) Tous furent saisis de stupéfaction, de sorte qu’il se demandaient les uns aux autres: Qu’est-ce que ceci? Une nouvelle doctrine! Il commande avec autorité même aux esprits impurs, et ils lui obéissent!

Marc 1, 21-28

Sans faire une étude approfondie de ce texte, je relève que le mot autorité y est mentionné deux fois dans des significations différentes.

La première manière est que Jésus enseigne comme ayant autorité, c’est-à-dire comme celui qui prend le devant de la scène, qui se reconnaît une légitimité à enseigner. Cela étonne, car les scribes, eux, enseignaient de manière corporatiste, « comme une collectivité d’enseignants attitrés, interprètes institutionnellement autorisés de la Loi, en référence à la tradition des Anciens »2. Et Jésus n’est pas scribe; du moins, il ne fait pas partie de cette corporation.

La seconde compréhension est la manière dont Jésus s’adresse à l’esprit impur3. Jésus commande et se fait obéir de cet esprit. Comme ce sera le cas des éléments dans la tempête sur le lac :

 

(36) Après avoir renvoyé la foule, ils emmenèrent [Jésus] dans la barque où il se trouvait; il y avait aussi d’autres barques avec lui.(37) Il s’éleva un grand tourbillon, et les flots se jetaient dans la barque, au point qu’elle se remplissait déjà. (38) Et lui, il dormait à la poupe sur le coussin. Ils le réveillèrent, et lui dirent: Maître, ne t’inquiètes-tu pas de ce que nous périssons? (39) S’étant réveillé, il menaça le vent, et dit à la mer: Silence! tais-toi! Et le vent cessa, et il y eut un grand calme. (40) Puis il leur dit: Pourquoi avez-vous ainsi peur? Comment n’avez-vous point de foi? (41) Ils furent saisis d’une grande frayeur, et ils se dirent les uns aux autres: Quel est donc celui-ci, à qui obéissent même le vent et la mer ?

Marc 4, 36-41

Ainsi, cet épisode vient confirmer que Jésus est bel et bien le Fils de Dieu, ou Dieu lui-même, qui peut faire lever une tempête ou la réduire au silence. On retrouve cette allusion dans le psaume 107 :

(25) Il dit, et il fit souffler la tempête, Qui souleva les flots de la mer. (26) Ils montaient vers les cieux, ils descendaient dans l’abîme; Leur âme était éperdue en face du danger; (27) Saisis de vertige, ils chancelaient comme un homme ivre, Et toute leur habileté était anéantie. (28) Dans leur détresse, ils crièrent à l’Éternel, Et il les délivra de leurs angoisses; (29) Il arrêta la tempête, ramena le calme, Et les ondes se turent. (30) Ils se réjouirent de ce qu’elles s’étaient apaisées, Et l’Éternel les conduisit au port désiré.

Psaumes 107, 25-30

Les exemples seraient nombreux, évidemment, montrant Jésus en thérapeute qui chasse les démons (ou esprits). Mais, j’aimerais aborder une autre dimension de l’autorité qui peut nous faire grandir dans notre notre condition d’humains et de croyants.

L’autorité qui autorise

Le sens premier du mot « autorité » est la capacité de faire grandir.

J’ai aussi entendu une définition qui ressemble à cela, mais dont je n’ai pas retrouvé la source :

Faire preuve d’autorité, c’est donner l’espace à l’autre de devenir qui il est appelé à être, à l’autoriser à de devenir auteur de sa propre vie.

Et j’aime beaucoup cette manière de différencier l’autorité de l’autoritarisme. Ce dernier étant de rabaisser au lieu d’élever.

Cela nous ramène aux rôles des parents qui ne cherchent pas tant à se faire obéir qu’à lui donner un cadre et des limites, lui permettant de devenir qui il est appelé à être. Je suis évidemment attristé et révolté par des ces parents destructeurs qui font preuve de violences sous diverses formes.

Je crois qu’il y a une différence fondamentale entre : « Tu seras médecin, mon fils, comme ton père ! » et « Tu seras chanteur (ou artiste), mon fils, si c’est là ton rêve, ton choix, et nous te soutiendrons ! Même si nous aurions préféré que tu sois médecin. »

Un père qui laisse son enfant grandir

Le texte de guérison par Jésus cité plus haut porte aussi cette dimension de rendre sa vie à celui qui en est dépossédé par un esprit. J’ai entendu combien une maladie peut prendre le contrôle ou le faire perdre à celui ou celle qui en souffre : « Je ne me reconnais plus ! », « Ce n’est plus moi ! » disent certains malades.

Guérir, c’est donc aussi être rétabli comme auteur de sa propre vie et cela se joue dans la rencontre qui devient synonyme d’histoires qu’on raconte et qu’on se raconte, à soi et aux autres.

Et certaines rencontres pourront être décisives, changer le cours d’une vie, être des résurrections, de nouveaux départs.

Ce que cela me dit de ma relation à Dieu

Je crois que Dieu me veut auteur de ma vie, en communion avec lui et lui avec moi. Il ne me veut pas marionnette ni lui marionnettiste !

Être libre, sous le regard de Dieu, c’est être son enfant sous son regard aimant qui se réjouit de me voir grandir et devenir quelqu’un, ce quelqu’un que je suis appelé à être.

Un modèle… parmi d'autres

Je crois encore que tout ce qui vise à rabaisser, à mépriser, à affaiblir, tout cela ne vient pas de Dieu, mais de nous-mêmes, de notre volonté à vouloir être dieu à la place de Dieu. Si nous confondons autorité et autoritarisme, alors nous ne sommes pas très loin de construire notre propre tour de Babel.

Questions à (se) poser :

  • Comment est-ce que je vis, ou ai-je vécu, les limites imposées par mes parents ?
  • Qui ont été ou qui sont encore mes figures d’autorité ?
  • Quelles ont été les personnes qui m’ont permis d’être qui je suis aujourd’hui ?
  • Que m’autorise ou m’interdit ma relation à Dieu dans mes actions aujourd’hui ?

 


  1. Je fais le choix de ne pas aborder les questions liées avec les autorités, en tant qu’institutions. 
  2. Le Nouveau Testament commenté. Sous la direction de Camille Focant et Daniel Marguerat. Ed. Bayard 2012, p. 162. 
  3. Notez que le dialogue se passe entre Jésus et l’esprit et non entre Jésus et l’homme. La nuance me paraît importante. 

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