Dieu, notre mère

Dans mon article à propos de l’appartenance, j’ai évoqué les quatre relations entre individus relevées par Robert Neuburger dans son livre Exister.

À l’invitation d’Elio dans son commentaire, je reprends ces quatre dimensions relationnelles décrites pour les mettre en regard avec Dieu et ma foi, qui est ma relation au Divin. Cet article reprend la relation nourricière ou maternelle.

Neuburger fait ici une précision : une relation maternelle n’est pas l’exclusivité de la mère biologique ou familiale, tout comme une relation paternelle, ou d’autorité, n’est pas réservée au seul père biologique ou familial. Il s’agit plutôt de fonctions assumées1.

Un besoin vital de relations

Le nourrisson a un besoin vital de cette relation fusionnelle qui le fait exister aux yeux de sa mère, mais il s’agit, comme dans toute relation, d’un échange et la mère a donc besoin d’être reconnue comme telle par son enfant. (…)

Cette relation primaire est symbolisée par le nourrissage, modèle d’une relation ultérieure que les humains rechercheront toute leur vie sous des formes plus ou moins sublimées.

Exister, p. 25

La naissance d’un enfant est plus qu’une simple mise au monde. La mère, qui a porté en elle cet enfant, son enfant, en a déjà pris soin avant même qu’elle puisse le voir. La relation est bel et bien fusionnelle puisque l’enfant a grandi dans son ventre et tous les deux ne formaient qu’un seul corps2.

La naissance, la venue au monde
La Bible, dans son première livre de la Genèse, montre que Dieu est à l’origine de la relation d’avec l’humain. Il est la Source de vie.

Symboliquement, c’est Dieu qui forme l’être humain au moyen de poussière (qu’on pourrait rapprocher de la matière organique dont chacun de nous est constitué) et qui lui donne vie par son souffle (ce qui se serait cette essence de vie)3.

En ce sens, Dieu devient mère, ou accoucheuse de l’humain :

(7) L’Eternel Dieu façonna l’homme avec de la poussière du sol, il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant.

Genèse 2, 7

Il y a encore ces mots magnifiques du psaume 139 :

(13) Tu m’as fait ce que je suis, et tu m’as tissé dans le ventre de ma mère. (14) Je te loue d’avoir fait de moi une créature aussi merveilleuse : tu fais des merveilles, et je le reconnais bien. (15) Mon corps n’était pas caché à tes yeux quand, dans le secret, je fus façonné et tissé comme dans les profondeurs de la terre. (16) Je n’étais encore qu’une masse informe, mais tu me voyais et, dans ton registre, se trouvaient déjà inscrits tous les jours que tu m’avais destinés
alors qu’aucun d’eux n’existait encore.

Psaume 139, 13-16

Ceci laisse entendre que nous ne venons pas de nulle part et que nous sommes pas un simple composé d’atomes et de matière, mais que nous portons en nous un souffle de vie donné et surtout que l’humain est voulu et connu de Dieu. De plus, si la femme porte la vie, c’est Dieu qui donne la Vie.

Un besoin de relations

La vie n’est pas que biologique, elle est aussi et surtout relations. S’il n’est pas bon que l’homme soit seul, il n’est pas bon non plus que Dieu soit seul. Et il est le premier à le comprendre et à vouloir y remédier. Il façonne par conséquent l’humain pour avoir un vis-à-vis, pour inaugurer et développer une relation4. Dieu se met à la recherche de l’humain :

(9) Mais l’Eternel Dieu appela l’homme et lui demanda : Où es-tu ?

Genèse 3, 9

Tu m'as cherché, je t'ai trouvé
Je crois que cette question n’est ni anodine ni anecdotique, comme posée une fois pour toutes dans l’histoire de cette relation de Dieu à l’humain. Elle est de celles qui sont posées à chacun·e d’entre nous et toute au long de notre vie. Dieu non seulement s’intéresse à nous, mais il s’inquiète de nous. Il ne cesse de nous chercher, bien plus que nous le cherchons nous-mêmes. Et surtout, Dieu se laisse trouver :

(12) Alors vous m’invoquerez et vous viendrez m’adresser vos prières, et je vous exaucerai. (13) Vous vous tournerez vers moi et vous me trouverez lorsque vous vous tournerez vers moi de tout votre cœur. (14) Je me laisserai trouver par vous – l’Eternel le déclare(…)

Jérémie 29, 12-14

La réponse de l’humain, créature de Dieu, est alors de se tourner à son tour vers son Dieu, de le chercher 5 :

(2) O Dieu, tu es mon Dieu ! C’est toi que je recherche. Mon âme a soif de toi, mon corps même ne cesse de languir après toi comme une terre aride, desséchée et sans eau.

Psaume 63, 2

Une mère pour ses enfants, vraiment ?

Mais il y a d’autres textes plus rudes : le récit introduisant le Déluge montre un Dieu-mère qui regrette d’avoir mis au monde, qui aurait peut-être préféré ne pas avoir fait naître de pareils enfants, en voyant ce qu’ils sont devenus6. Et parce que Dieu est Dieu, il pourrait tout détruire, tout recommencer, à l’image de la page raturée d’un cahier qu’on arrache pour faire croire qu’elle n’a jamais existé. Il en a d’ailleurs le projet :

(5) L’Eternel vit que les hommes commettaient beaucoup de mal sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur se portaient constamment et uniquement vers le mal. (6) L’Eternel regretta d’avoir fait l’homme sur la terre et eut le cœur peiné. (7) L’Eternel dit: «J’exterminerai de la surface de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles et aux oiseaux, car je regrette de les avoir faits.»

Genèse 6, 5-7

Mais, comme une mère pour ses enfants, Dieu reconnaît qu’il y a des justes, des innocents. Et il veille à les préserver. Il n’est pas adepte de la fessée collective et aveugle :

(8) Cependant, Noé trouva grâce aux yeux de l’Eternel. (9) Voici l’histoire de Noé. C’était un homme juste et intègre dans sa génération, un homme qui marchait avec Dieu.

Genèse 6, 8-9

Les textes bibliques nous montrent encore un Dieu qui nourrit ses enfants. Je m’y arrête un instant puisque qu’un des rôles de la mère est de nourrir son nourrisson7.

D’abord dans le Jardin d’Eden, puisqu’il invite l’homme et la femme à manger des fruits des arbres (à une exception près). Ensuite, la promesse est faite à l’homme qu’il ne mourra pas de faim, même si la nourriture tirée du sol, le sera au prix d’efforts :

(19) Tu tireras du sol ton pain à la sueur de ton front
jusqu’à ce que tu retournes à la terre (…)
Genèse 3, 19

On se souvient encore de la manne et des cailles au désert lors de la traversée vers la Terre promise.

La manne, une nourriture
Ou encore, parmi d’autres épisodes fameux, ces deux qui montrent combien Dieu et généreux quand il donne :

Qu’est-ce que cela me dit ?

Ma relation à Dieu, au Divin, est d’abord une relation de vie, qui me rend vivant, qui est porteuse de vie et par conséquent en relation avec un Dieu qui me reconnaît.

Même si le langage biblique présente le Divin sous les traits d’un père :« Notre Père qui est aux cieux », il peut être représenté avec des attributs maternels. D’ailleurs un psaume exprime l’image d’une oiselle qui protège ses petits sous son aile :

Qui s’abrite auprès du Très-Haut,
repose sous la protection |du Tout-Puissant. (2) Je dis à l’Eternel : « Tu es mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je me confie ! » (3) C’est lui qui te délivre du filet de l’oiseleur,
et de la peste qui fait des ravages. (4) Il te couvre sous son plumage, tu es en sécurité sous son aile,
sa fidélité te protège comme un grand bouclier.

Psaume 91, 1-4

Ensuite, cette relation nourrit ma vie. Non seulement, ma vie spirituelle par la relation que j’entretiens au traves de la lecture, de la méditation et de la prière, que je peux qualifier de dialogue, mais aussi ma vie relationnelle avec les autres. En effet, elle me fait découvrir, toujours et à nouveau, la présence discrète de ce Dieu nourrissant et aimant au coeur même de mes rencontres et de mes dialogues.

Et cette relation m’invite à regarder à la dignité de chacun·e, et à la mienne aussi : sous le regard de ce Dieu, annoncé par Jésus-Christ, chacun·e de nous est reconnu·e comme un·e enfant, digne d’être aimé·e. Même celui ou celle qui serait rejeté ou oublié·e par sa mère :

(15) (…) Une femme oublie-t-elle |l’enfant qu’elle nourrit ? Cesse-t-elle d’aimer |l’enfant qu’elle a conçu ? Et même si les mères |oubliaient leurs enfants, je ne t’oublierai pas ! (16) Voici, je t’ai gravée |dans le creux de mes mains (…)

Esaïe 49, 15-16

Et cela est très rassurant.

Questions à (se) poser :

  • Comment ma relation à mes parents ou ma famille (peut-être parfois conflictuelle) peut-elle influencer ma relation à Dieu ?
  • Quelles qualités maternelles m’ont aidé·e à me construire ?
  • Que signifie pour moi « venir au monde » ?
  • En quoi « vivre » est-ce différent d’« exister » ?
  • De quelle manière Dieu nourrit-il ma vie et mes rencontres ? Quelques exemples concrets…
  • Évoquer Dieu sous des traits maternelles, comment cela résonne/consonne-t-il en moi ?

  1. Exister, p. 25-26. 
  2. Ceci, bien évidemment, quand tout se passe bien. Si l’enfant est déjà « rejeté » ou nié, parce que, par exemple, il est la conséquence d’un viol et que l’avortement n’a pas été possible, ou que la mère fait un déni de grossesse, c’est très différent. 
  3. Quel enfant n’a pas joué à former des personnages en pâte à modeler et à leur donner symboliquement la vie, les faisant parler et communiquer entre eux ? 
  4. Cette relation Dieu-homme est différente des autres mythologies où le divin est souvent lointain et se joue de l’humain. 
  5. on retrouve ici ce double mouvement de la mère vers l’enfant et de l’enfant vers sa mère, constitutif de la relation fusionnelle. 
  6. Les exemples ne sont pas rares, malheureusement, d’entendre des mères dire à leur enfant : « j’aurais préféré que tu ne naisses jamais ! » 
  7. on parle, outre de lait maternel, d’instinct maternel, d’amour maternel. Mais de telles qualités se retrouvent aussi, et tant mieux, chez les pères. 

L’appartenance

Réflexions de que veut dire exister et faire partie et autour des rites et rituels, signes et symboles, cercles et groupes, inclusions et exclusions.

Je reprends ces réflexions initiées voici une année dans l’optique de la thématique d’un programme de catérchisme (11-14 ans). La thématique a changé entretemps, mais la réflexion reste. D’autant que la lecture de Exister. Le plus intime et le plus fragile des sentiments de Roger Neuburger, psychiatre, vient raviver mes réflexions. Plutôt que de les laisser dormir au fond de mon ordinateur, je vous en fais profiter en plusieurs billets.

Sentiment d’exister

Neuburger explique dans l’introduction de son livre que

Le sentiment d’exister n’a rien de naturel. C’est d’une construction destinée à échapper à l’angoisse fondamentale que suscite la conscience de notre mort inéluctable. Et c’est dès la naissance que nous sont enseignés les matériaux qui nous permettront plus tard de nous faire exister1.

Le Penseur d'Auguste Rodin
Le sentiment d’exister, ou phénomène d’humanisation, n’est pas inné, mais se construit selon deux facteurs complémentaires :

  1. La relation à la mère ou à une personne stable (j’y reviens plus bas)
  2. Le sentiment d’appartenance que je développe ci-après)

Chaque être humain a besoin de ces deux dimensions pour se sentir exister. L’absence de l’une ou de l’autre pourra créer des troubles identitaires ou amplifier le besoin de reconnaissance.

Par exemple, une personne ayant été délaissée ou abandonnée par sa mère ou sa famille pourra tenter d’acquérir une nouvelle reconnaissance dans le domaine professionnel.

Sentiment d’appartenance

L’homme est un animal grégaire. C’est une banalité que de le dire. Ce qui est essentiel, c’est que cet instinct primitif existe toujours et depuis toujours, sous la forme d’un besoin à combler : le besoin d’appartenance ou d’intégration sociale. Dès sa naissance, l’être humain a ce besoin d’être reconnu comme faisant partie d’un groupe : la famille d’abord, puis les pairs (camarades, amis, collègues…), la maison-couple (pour reprendre une image de Neuenburger) et/ou d’un idéal qui peut prendre la forme d’une association, d’un syndicat, d’une église, d’un groupe qui partage une vision commune.

Appartenir à une équipe, un groupe
En effet, l’homme a besoin de faire partie intégrante de tels groupes sociaux (famille, clubs, associations, mais aussi entreprise, commune, région, nation, religion etc.) avec lesquels il partage certaines caractéristiques (goûts, activités, idées, opinions, valeurs, convictions, statut social etc.), ce qui est un moyen à la fois de se reconnaître et d’être reconnu, d’accepter et de se sentir accepté.

Neuburger distingue quatre types de relations entre les individus :

  1. La relation nourricière (plutôt que maternelle) : il s’agit de la relation primaire à la « mère » ou à un·e référent·e qui permet au nouveau-né d’exister comme être vivant2. Cette relation fusionnelle implique une reconnaissance mutuelle mère/enfant.
  2. La relation d’autorité (plutôt que paternelle) : c’est la relation de celui ou celle qui détient une responsabilité éducatrice qu’il·elle doit exercer. L’enfant lui doit respect et obéissance 3.
  3. La relation fraternelle : c’est ce que l’enfant apprend au contact de ses camarades ou « frères », notamment à la crèche, en jouant, à la récréation 4.
  4. La relation amoureuse : qualifiée de dévorante par Neuburger. Elle fait privilégier de manière irrationnelle une relation individuelle exclusive avec un être élu5.

Donc exister passe par l’intermédiaire du regard de l’autre qui nous identifie et nous reconnaît comme un pair, un égal digne d’être accepté, respecté voire aimé.

Ce qui fait du besoin d’appartenance un besoin aussi fondamental (et complémentaire) que le besoin d’amour, d’affection de reconnaissance6 et les deux se nourrissent mutuellement.

Ce sentiment d’appartenance participe de la dimension sociale de notre identité et reste en mouvement tout au long de notre vie, de nos affiliations, de nos passages d’un groupe à un autre, avec toutes les influences que celui-ci peut exercer (ou cesser d’exercer). Il est à la fois le reflet et l’expression de cette identité sociale et est nécessaire à l’équilibre psychologique. Dans une société qui pousse à l’individualisme et brouille les repères par l’accélération des changements, certains peuvent avoir du mal à combler leur besoin d’intégration sociale et vivent davantage de solitude qu’ils ne le souhaiteraient. Inversement, lorsqu’il est comblé, ce besoin d’appartenance sociale participe à la satisfaction d’autres besoins: reconnaissance, amour et affection etc., ainsi qu’au renforcement de l’estime de soi(…) Si le besoin d’appartenance est universel, la façon dont il s’exprime pour chacun (en désirs) est individuelle et nécessite d’être déterminée avec précision pour s’inscrire dans les groupes qui nous importent d’une manière qui nous satisfait.7

Synonymes de ‘GROUPE’

Famille, cercle, équipe, club, clan, tribu, horde, association, classe, société, bande, communauté, peuple, paroisse, Église … Pour les animaux, on peut parler de espèce, troupeau, essaim, banc, harde…

Arrivée dans un groupe
 

Groupes ouverts ou fermés

Un groupe « ouvert » permet à toute personne de le rejoindre, à condition d’en partager les valeurs et les buts. Ex : associations, clubs sportifs, partis politiques… Il n’est pas limité quant au nombre de ses membres.

Un groupe « fermé » ne permet l’adhésion de nouveaux membres que sous certaines conditions, ou en cas de départ d’un des membres. Ex : commissions, groupes de travail, parlement… Le nombre des membres est limité par un règlement, des statuts, une loi.

Les réseaux sociaux offrent des exemples pertinents de groupes ouverts ou fermés. Certains offrent un libre accès : il suffit de cliquer sur « Rejoindre » pour en faire partie. D’autres exigent une présentation et une raison d’adhérer. La demande est alors examinée puis validée (ou non) par le modérateur du groupe.

Questions à (se) poser :

  • À quels groupes est-ce que j’appartiens ?
  • Quels sont les groupes ouverts ou fermés, quelles ont été les modalités pour les rejoindre ?
  • Est-ce que je l’ai choisi délibérément ou est-ce que cela m’a été imposé ?
  • À quoi ce(s) groupe(s) sont-ils reconnaissable(s) : signes distinctifs, habillement, cartes de membre, langage… ?
  • Existe-t-il des groupes qui me sont encore inaccessibles et auxquels j’aimerais appartenir ? Lesquels et pourquoi ?
  • Est-ce que j’appartiens à des groupes que j’aimerais quitter ? Qu’est-ce qui m’empêche de le faire ?
  • Que m’apporte le fait d’appartenir à tel ou tel groupe ?

  1. Neuburger Robert. Exister, p. 19 
  2. Exister, p.24 
  3. Exister, p. 26 
  4. Exister, p. 27 
  5. Exister, p. 28 
  6. Le besoin d’appartenance est le 3e étage de la pyramide des besoins selon Maslow, après les besoins physiologiques et sécuritaires, mais avant le besoin d’estime. 
  7. https://www.ithaquecoaching.com/articles/repondre-a-son-besoin-dappartenance-sociale-1028.html