Pour une Parole vivante

Prédication du dimanche 30 juin 2024 au temple de St-Aubin (NE)

Chers Amis,

Peut-être que certains d’entre vous ont prévu une croisière cet été. Si c’est le cas, je vous souhaite de pas avoir à essuyer pareille tempête à celle que les disciples ont ont eu à affronter ce jour-là sur le lac de Tibériade ou de Génésareth – car, c’est là que se passe cet épisode. Une tempête. Des flots qui emplissent la barque qui menace de couler… Peur ! Mort !

Ce jour-là, le soir venu, Jésus leur dit: «Passons sur l’autre rive.» Après avoir renvoyé la foule, ils l’emmenèrent dans la barque où il se trouvait; il y avait aussi d’autres barques avec lui. Un vent violent s’éleva et les vagues se jetaient sur la barque, au point qu’elle se remplissait déjà. Et lui, il dormait à l’arrière sur le coussin. Ils le réveillèrent et lui dirent: «Maître, cela ne te fait rien que nous soyons en train de mourir?» Il se réveilla, menaça le vent et dit à la mer: «Silence! Tais-toi!» Le vent tomba et il y eut un grand calme. Puis il leur dit: «Pourquoi êtes-vous si craintifs? Comment se fait-il que vous n’ayez pas de foi?» Ils furent saisis d’une grande frayeur et ils se disaient les uns aux autres: «Qui est donc cet homme? Même le vent et la mer lui obéissent!» – Évangile selon Marc 4, 35-41

Toutes proportions gardées, on ne peut s’empêcher de penser aux récentes intempéries qui ont touché de nombreuses régions, dont la Suisse ces derniers jours.

Pourquoi parler de cette tempête ?

Tout comme ici, avec les coups de Joran, il ne devait pas être si rare que des bourrasques agitent la surface du lac de Tibériade sur lequel voguent les disciples ce jour-là. Qu’avait donc de si particulier cette tempête, pour que Matthieu, Marc et Luc la relatent dans leur Évangile ? On le sait bien : la Bible n’est pas un reportage-photo de la vie de Jésus, écrit par des journalistes. Elle se veut être des témoignages d’hommes et de femmes qui ont fait l’expérience du divin. Alors, si cette tempête n’était qu’anecdotique, elle n’aurait sans doute pas retenu à ce point l’attention des auteurs de trois évangiles sur quatre. Elle aurait coulé dans le quotidien insignifiant de l’ordinaire de la vie d’un lac. Je ne doute pas que la barque des disciples ait pu, un jour, se trouver aux prises de vents violents et de flots déchaînés, mais pourquoi donc en faire un tel récit ? Il doit y avoir autre chose… Qui nous interrogerait sur Dieu.

L’interprétation « classique » de ce texte invite les lecteurs à chercher en Jésus-Christ le secours dans les remous de l’existence humaine, à le réveiller quand tout est sur le point de nous submerger. L’épisode serait là pour nous rappeler que Jésus est toujours avec nous, même s’il nous arrive de l’oublier ; qu’il dort dans notre barque-vie et qu’il a une autorité qui va jusqu’à faire taire la menace pour restaurer la sérénité et aller là où on doit aller. Soit. Je partage aussi cette interprétation. Mais, il doit y avoir autre chose…

Changeons un peu de regard

Aujourd’hui, j’aimerais vous inviter à relire cet épisode d’une autre manière et pour cela, je vous invite à une courte escale dans les premiers mots de l’Évangile selon Jean. Souvenez-vous :

Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle il y avait la vie, et cette vie était la lumière des êtres humains (…) Et la Parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père. – Évanile selon Jean 1, 1-5 et 14.

Jean nous rappelle que Jésus, la Parole de Dieu, le Verbe, s’est fait chair. Une parole censée guider les pas de nos vies, comme le rappelle ce psaume :

Ta Parole, Seigneur, est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon chemin. – Psaume 119, 105

Jésus est cette parole qui guide les pas du croyant. Alors, ne devrait-il pas être à l’avant de la barque, à la proue, le regard fixé sur l’horizon et guidant les disciples pour trouver la route au travers des flots déchaînés ?

Or, ici, Jésus dort à l’arrière de la barque, à la poupe. Insensible à ce qui se passe… Ou oublié, relégué à fond de cale dans l’agitation du moment.

Mais, lorsque la situation devient tellement instable, au point de mettre en péril la frêle embarcation, la vie même de ses amis, ils font alors appel à lui, comme un ultime recours, un ultime secours… La seule bouée qui pourra les sauver en cas de naufrage.

Une Parole vivante, pas figée

Jésus, Parole vivant de Dieu, n’est-ce pas ? Nous voilà interpellés : où est -elle ? Où est Jésus dans notre vie ? Sommeille-t-il quelque part dans le fond de notre bastingage ? Ou est-il devant, nous encourageant à tendre et détendre les voiles, à tenir bon le gouvernail ? Quelle place occupe-t-elle dans notre vie ?

Cette parole, que Dieu a envoyée dans le monde, n’est pas juste à entendre une fois pour toutes pour l’oublier ensuite. Pas plus qu’elle n’est à enfermer dans un livre, fût-il saint, ni dans une église pour le temps d’une célébration. Encore moins à laisser dormir dans nos souvenirs de catéchisme. Si la parole de Dieu guide notre vie, c’est pour lui donner un peu de calme et de paix et ce sera déjà pas si mal. Car, si l’épisode de la tempête apaisée montre d’abord la tempête puis le calme extérieur, je crois que l’agitation et les tempêtes peuvent aussi être tout intérieures.

C’est alors que la parole de Dieu peut ramener un peu de cette sérénité dans nos vies, à un moment où nous perdons pied. Elle peut nous aider à garder le cap contre vents et marées. Comme une profonde respiration, elle peut apaiser – peut-être même faire taire – nos peurs quand c’est le chaos en nous et autour de nous. Mais, elle ne résout pas forcément tout non plus.

Elle permettra de voir la situation un peu différemment, elle pourra susciter le courage de faire le pas suivant, ou encore souffler un peu de confiance et d’espérance. Ce sera déjà pas mal.

Courage !

L’apôtre Paul, à son tour, encourage les croyantes et croyants de Corinthe à garder le cap de l’espérance et de la confiance, malgré les difficultés présentes. A regarder au-delà des mots, au-delà de ce que nous voyons et percevons.

Et comme nous avons le même esprit de foi que celui exprimé dans cette parole de l’Ecriture: J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé, nous aussi nous croyons, et c’est pour cela que nous parlons. Nous savons en effet que celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus nous ressuscitera aussi par Jésus et nous fera paraître avec vous dans sa présence. Oui, tout cela arrive à cause de vous afin que la grâce, en se multipliant, fasse abonder la reconnaissance d’un plus grand nombre, à la gloire de Dieu.

Voilà pourquoi nous ne perdons pas courage. Et même si notre être extérieur se détruit, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour. En effet, nos légères difficultés du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire. Ainsi nous regardons non pas à ce qui est visible, mais à ce qui est invisible, car les réalités visibles sont passagères et les invisibles sont éternelles. – 2e lettre aux Corinthiens 4, 13-18

Et c’est sans doute ainsi que nous pourrons, à notre tour, résister au désespoir et à la résignation, à la peur devant les tempêtes qui agitent le monde actuellement.

Un moment rien que pour la Parole

Cet été, que ce soit sur un bateau de croisière, dans notre jardin, sur une montagne ou ailleurs, si nous prenions un peu de temps pour respirer et réveiller la parole de Dieu au cœur de notre vie. Sans doute que le temps de vacances peut nous le permettre. C’est certainement aussi pour cela qu’il y a le jour du repos, consacré à soigner sa relation à Dieu, à laisser une parole, sa parole, restaurer le calme dans nos vies pour que nous puissions naviguer, ramer, avancer vers son Royaume, dans la confiance et la paix, malgré les circonstances.

source de l’image : Pixabay.com

Au delà des mots, être vrai !

Prédication du Dimanche des réfugiés au temple de Corcelles (NE) le dimanche 16 juin 2024.

Enregistrement audio a posteriori.

Il y a quelque temps, le président du Conseil synodal de l’EREN, Yves Bourquin, a signé une chronique dans le journal Réformés avec ce titre « Prendre la Bible à la lettre ou la prendre au sérieux ! » J’ai aimé ce titre et j’ai apprécié ce qu’il en disait. Car, oui, nous avons le choix de lire la Bible au pied de la lettre, au mot près, ou avec un regard critique, la prenant au sérieux et ce n’est pas tout à fait pareil. Ce qu’elle dit a du sens et donne du sens à nos vies, à nos engagements et à notre foi.

Deux manières (au moins) de lire la Bible

La Bible est un magnifique panorama de témoignages d’hommes et de femmes en lien avec Dieu en des temps et des circonstances particulières et diverses. Ce qu’ils et elles disent a donc valeur de vérités, pour autant qu’on garde en mémoire le pourquoi de leurs propos. Cette précaution prise, on pourra alors extrapoler et se questionner en quoi ces témoignages – fort anciens – peuvent être encore pertinents pour nous aujourd’hui. Il ne s’agit pas de faire du « copier-coller » sans réfléchir, mais de faire preuve de sérieux dans la lecture de la Bible et son interprétation.

Une autre manière d’approcher les Écritures est de les lire au pied de la lettre, au plus près des mots. Et l’histoire humaine a été parsemée de ces interprétations littérales. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare qu’« on » tire un verset, comme un magicien un lapin de son chapeau et qu’on lui fasse dire surtout ce qu’on veut, sous le prétexte que c’est dans la Bible. Donc, parole d’Évangile !

Attention, ce n’est pas très sérieux et à ce petit jeu, on peut vite se brûler les doigts.

Accepter un texte jusqu’à ses mots les plus durs

C’est à dessein que j’ai choisi, entre les deux textes proposés ce dimanche par l’EPER celui du psaume 137. J’aurais pu, j’aurais dû peut-être, me réfugier dans ma zone de confort et m’attarder sur le texte des disciples d’Emmaüs (l’autre référence proposée).

Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion.
Nous avions suspendu nos harpes aux saules du voisinage.
Là, ceux qui nous avaient déportés nous demandaient des chants, nos oppresseurs nous demandaient de la joie: «Chantez-nous quelques-uns des chants de Sion!»
Comment chanterions-nous les chants de l’Eternel sur une terre étrangère? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie!
Que ma langue reste collée à mon palais, si je ne me souviens plus de toi, si je ne place pas Jérusalem au-dessus de toutes mes joies!
Eternel, souviens-toi des Edomites! Le jour de la prise de Jérusalem, ils disaient: «Rasez-la, rasez-la jusqu’aux fondations!» Toi, ville de Babylone, tu seras dévastée.
Heureux celui qui te rendra le mal que tu nous as fait!
Heureux celui qui prendra tes enfants pour les écraser contre un rocher!
Psaume 137

Mais non ! J’aurais pu, j’aurais dû peut-être, comme souvent, ôter de la lecture le dernier verset du psaume 137. Parce que, comment la Bible, la parole de Dieu, peut-elle inciter à écraser des enfants contre un rocher ? Ce doit être une coquille de copistes… Ce n’est pas sérieux !

Si j’avais fait cela, si j’avais « édulcoré » ce psaume, je n’aurais pas été fidèle au texte. J’aurais sans doute fait dire à la Bible ce que j’avais envie d’entendre, ce que je voulais qu’elle me dise. Je l’aurais sans doute trahie. Alors, j’ai assumé ce texte, je l’ai pris au sérieux jusqu’à son dernier mot.

Les psaumes de l’existence humaine

Il vaut la peine de se souvenir que le livre des Psaumes est un recueil de prières, sous formes de chants dont nous avons perdu la mélodie. Nous en avons d’autres arrangements dans les gospels ou nos recueils de cantiques. Ce sont des prières donc ; des mots, certes, mais surtout qui traduisent des émotions ressenties par des femmes et des hommes en des circonstances particulières : des moments joyeux, alors il nous faut louer Dieu. Des peurs, des angoisses, recherchons en Dieu un abri, une protection. La conscience de la grandeur du ciel et de la petitesse de l’humain, rendons gloire à Dieu pour la beauté de sa création. Le recueil des psaumes est un magnifique panorama de l’âme humaine élevée vers Dieu. Un peu un condensé de toute la Bible.

Et parmi les circonstances de l’histoire et de la vie, il y en a qui conduisent au désespoir. Souvenons-nous : le peuple de Dieu a été capturé et emmené en exil à Babylone, loin de sa terre promise. Et là, plus l’envie de chanter ni de faire vibrer les harpes ni résonner les instruments. Plus l’envie de danser ni de rire. On se souvient d’où l’on vient. On voit où l’on est. On subit le mépris et l’arrogance des plus forts ! Comment alors célébrer la vie sur la terre de ceux qui nous ont arrachés à nos racines et nous ont contraints à vivre dans cet ailleurs ? Voilà ce qui devait habiter les pensées des exilés à Babylone. Voilà ce qui doit aussi habiter les pensées de tous ceux qui ont dû fuir à leur tour leurs terres d’enfance vers un ailleurs qu’ils ne voulaient pas.

Dans ce désespoir, dans cette nostalgie, surgissent alors des émotions : tristesse, bien sûr, colère sûrement. La colère fait naître la haine : on en veut à ceux qui nous ont arrachés à notre terre. On aimerait qu’ils connaissent le même sort, en pire.

On en vient à la vengeance : on se réjouirait de celui qui rasera à son tour Babylone l’envahisseur, qui écraserait ses enfants contre les rochers ! Des mots qui traduisent des émotions !

Quel Dieu prie-t-on au fait ?

Aujourd’hui, ce texte nous est difficilement audible. Il grince à nos oreilles, parce qu’il vient bousculer notre image d’un « bon » Dieu, aimant, qui offre sa grâce à tous et à chacun sans exception qui appelle jusqu’à aimer ses ennemis. Oui, certes. Mais, ce Dieu-là est aussi celui que l’on prie, à qui l’on se confie et à qui on confie ses émotions. Et comment nous confier à lui, lui Dieu, sans être vrais, authentiques, avec nos blessures, nos colères, nos regrets, nos rages ?

Combien de pourquoi : « Pourquoi Dieu a-t-il permis les massacres d’innocents ? » Cette question est légitime.  Nous n’avons souvent pas de réponses convaincantes. C’est alors dans cette impuissance à justifier quoi que ce soit que nos émotions peuvent monter vers Dieu dans nos prières.

Dieu est cette oreille ultime, quand il n’y a plus personne pour écouter, quand il n’y a plus rien à espérer. Dieu ne rejettera pas celui ou celle qui se tourne vers lui en toute sincérité. Être vrai et sincère, c’est se présenter devant Dieu sans artifice, conscients que nous avons besoin de son écoute, de sa grâce, de son pardon, de son amour. Peut-être encore plus quand nous vivons des situations traumatisantes.

L’accueil au centre

Comme en écho, il y a l’accueil de Jésus pour les petits enfants, ceux que les disciples essayaient d’éloigner.

Des gens lui amenaient même de tout petits enfants afin qu’il les touche, mais les disciples, en voyant cela, leur firent des reproches. Jésus appela les enfants et dit: «Laissez les petits enfants venir à moi et ne les en empêchez pas, car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera pas.»
Évangile selon Luc 18, 15-17

En ce temps-là, ils n’avaient pas grande valeur, considérés plutôt comme des bouches à nourrir et des fardeaux plutôt que des aimés de Dieu. Jésus les reprend, les disciples : « Laissez venir à moi ces petits enfants ». Et nous aimerions que les enfants trouvent cette oreille attentive et cette confiance auprès d’un parent, d’un ami.

En ce troisième dimanche de juin, nous dédions cette journée à celles et ceux que nous appelons des réfugiés. Des femmes, des hommes, des familles qui ont été contraints de fuir leur pays en guerre vers d’autres horizons, espérant y trouver une autre humanité. Elles et ils ont besoin d’être accueillis, reconnus, soutenus, défendus. Nous dédions aussi cette journée aux personnes qui les accueillent, les soutiennent et les défendent.

Dans ces relations qui se construisent peu à peu, il y a toutes sortes d’émotions du rire aux larmes, de la reconnaissance à la colère, de la défiance à la confiance. Peut-on seulement imaginer tout le chemin émotionnel traversé par celles et ceux qui ont dû abandonner leur famille, leur pays, leur quotidien.

C’est sérieux !

Sur chacune de ces personnes accueillies ou accueillantes, Dieu veille et pose une main bénissante. Il soutient les gestes de fraternité et d’humanité, il accueille toutes – vraiment toutes – les prières et souffle la paix dans les cœurs. Ainsi, avec nous, il fait advenir son Royaume aujourd’hui déjà. Car, Dieu nous prend au sérieux. Ce ne sont peut-être que des mots dits comme cela devant vous. Et c’est sans doute facile de le croire pour nous qui sommes ici, loin des champs de bataille.

Mais quand même, l’amour et le souci que Dieu témoigne à chacune et chacun, ça, nous pouvons le prendre au sérieux. Amen.

Enceints de Dieu

Prédication du dimanche 12 décembre, 3e de l’Avent, en la Blanche-Église.

Pour ce culte du troisième dimanche, je me suis laissé inspirer par la rencontre de Marie et d’Élisabeth, sa cousine. Un texte qui parle à chacun, qu’on soit homme ou femme, qu’on ait des enfants ou non…

Continuer la lecture de « Enceints de Dieu »

Cherchez l’intrus

Livre de la Genèse au premier chapitre :

Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. La terre était sans forme et vide, et l’obscurité couvrait la surface de l’abîme. Le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. Alors Dieu dit : « Que la lumière paraisse ! » et la lumière parut. Dieu vit que la lumière était une bonne chose, et il sépara la lumière de l’obscurité. Dieu nomma la lumière jour et l’obscurité nuit. Le soir vint, puis le matin ; ce fut la première journée (…)

Dieu dit alors : « Que la terre fasse pousser de la végétation : des plantes produisant leur semence, et des arbres fruitiers dont chaque espèce porte ses propres graines ! » Et il en fut ainsi. La terre fit pousser de la végétation : des plantes produisant leur semence espèce par espèce, et des arbres dont chaque variété porte des fruits avec pépins ou noyaux. Dieu vit que c’était une bonne chose. Le soir vint, puis le matin ; ce fut la troisième journée.

 

Évangile selon Matthieu 13, 24-30 :

Jésus leur raconta une autre parabole : « Le royaume des cieux ressemble à quelqu’un qui avait semé de la bonne semence dans son champ. Une nuit, pendant que tout le monde dormait, son ennemi vint semer de la mauvaise herbe parmi le blé et s’en alla. Lorsque l’herbe poussa et que les épis se formèrent, la mauvaise herbe apparut aussi. Les serviteurs du maître de maison vinrent lui dire : “Maître, n’as-tu pas semé de la bonne semence dans ton champ ? d’où vient donc cette mauvaise herbe ?” Il leur répondit : “C’est un ennemi qui a fait cela.” Les serviteurs lui demandèrent : “Veux-tu que nous allions enlever la mauvaise herbe ?” “Non, répondit-il, car en l’enlevant vous risqueriez d’arracher aussi le blé. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson et, à ce moment-là, je dirai aux moissonneurs : Enlevez d’abord la mauvaise herbe et liez-la en bottes pour la brûler, puis vous rentrerez le blé dans mon grenier.” »

Prédication

Vous avez certainement déjà joué à ce jeu, seul ou en famille : « Cherchez l’intrus ». Dans une image, parmi des objets ou dans une liste de mots, il y en a toujours un qui n’a rien à y faire.

Jouons un peu à chercher l’intrus

Par exemple, si je vous dis : Rose, Jacinthe, Capucine, Coquelicot et Marguerite. Cherchez l’intrus !

C’est Coquelicot, parce que les autres sont à la fois des noms de fleurs, et aussi des prénoms féminins.

Évoquer le Royaume des cieux, ici et maintenant déjà, c’est jouer à « cherchez l’intrus ». Parce que, avouons-le, en regardant le monde, ce qui s’y passe, ce Royaume tient plus de l’espoir en un monde meilleur, voire d’une vue de l’esprit, que d’une réalité déjà concrète. Évoquer le Royaume des cieux, c’est parler de quelque chose qui n’a pas vraiment sa place dans notre monde… Ou pas encore dira-t-on. On l’imagine aisément pour plus tard, pour beaucoup plus tard.

Alors à quelle autre image recourir que celle d’une semence, d’un semeur pour dire que ce quelque chose, ce Royaume, est déjà sans pour autant être visible ? La graine plantée en terre devient invisible à nos yeux, mais se transforme jusqu’à voir les premiers signes de germination. En attendant, on se demande si elle s’est développée ou si elle a séché. Il faut faire preuve de patience. Une patience confiante qui affirme que l’essentiel est invisible pour les yeux. Et pourtant cet essentiel se passe là, sous nos yeux. On l’a tous expérimenté au moins une fois.

Ce n’est donc pas un hasard si, dans cette parabole, Jésus recourt à l’image d’un semeur confiant que ses semences donneront des épis, mais … cherchez l’intrus. C’est l’ivraie parmi la bonne semence.

Et cela me fait penser aux coquelicots dans les champs de blé. Ils se mélangent aux épis. En grande quantité, ils polluent le champ et la farine, ils deviennent alors synonymes alors de mauvais rendement. Même s’il est beau et éphémère, les cultivateur considèrent le coquelicot comme une mauvaise herbe très prolifique.

Les cultivateurs vous le diront : il n’est pas toujours facile de séparer la bonne tige de la mauvaise, surtout au début, car à vouloir trop arracher, on finit par tout arracher.

Alors, Jésus, en jardinier avisé, conseille de laisser pousser toutes les plantes et, à la fin, à la fin seulement, des moissonneurs, ceux qui ont l’œil, sauront trier, garder le blé et jeter ce qui doit l’être.

Un processus en marche

Cette parabole n’est pas une référence à Monsieur Jardinier, évidemment. Elle nous parle du Royaume des cieux, c’est-à-dire du règne de Dieu. Et ce que dit Jésus, c’est que ce Royaume est déjà semé et qu’il croît. Il n’est pas seulement à attendre ni à espérer à l’horizon de l’éternité. Il est là, sous nos yeux, sous nos pieds. Ce Royaume est un processus, un mouvement. Il n’est ni ce quelqu’un, ni la semence, ni le champ seulement, mais l’action de quelqu’un qui a semé dans son champ de la bonne semence.

Le Royaume n’est ni figé, ni statique ; il est mouvement. Et nous participons, nous ouvriers, nous serviteurs, nous humains, à ce mouvement aujourd’hui et maintenant déjà. Dieu n’agit pas sans nous, mais avec nous. Dieu est ce quelqu’un qui a ensemencé son champ, celui du monde, de sa création :

Au commencement, Dieu sème une parole féconde et laisse le temps à l’action : Il y eut un soir… Il y eut un matin… Dieu dit et, peu à peu, le monde se couvre de de verdure, les graines donnent des plantes, des épis, des fleurs, des arbres.

Dieu ne réalise pas une maquette où les arbres sont en plastique, l’herbe synthétique et les montagnes en papier mâché. Dieu crée un espace de vie… vivant et en constante évolution qui a besoin de temps et de patience. Le recours à l’image du jardin n’est pas anodin et plutôt bien trouvé pour dire l’action, le partenariat, la collaboration de Dieu avec l’humain.

Mais, sus est aussi très réaliste : il sait bien que la vie est faites de relations et que dans toute relation, il y a aussi un intrus : des graines indésirables, qui n’ont pas été voulues par le Créateur des commencements. Ça arrive même dans les meilleurs terreaux, même dans les meilleures familles, même dans les meilleures Églises.

Ces graines-là ne sont pas voulues par le Créateur. C’est important de le rappeler : Dieu ne sème pas le mal. Il ne le veut pas ni pour nous apprendre quelque chose ni pour tester notre confiance, encore moins pour nous punir de notre « mal-croire ».

Alors, cette parabole pose la question de la présence de ce qui vient perturber cet équilibre sur lequel nous tentons de vivre, entre bonnes semences et mauvaises herbes. Cet équilibre, souvent fragile, entre ce qui fait du bien et ce qui fait du mal.

Zizanie et ivraie… Tout ce qu’on ne veut pas… mais qui est là

Ainsi, dans notre monde, comme dans nos relations, ces graines indésirables, c’est tout ce qui fait croître la discorde, la zizanie. Zizanie, c’est d’ailleurs l’autre nom de l’ivraie. L’ivraie, cette plante qui rend ivre. Ivre de pouvoir, de jalousie, ivre de colère…

Ces semences-là sont semées de nuit nous dit la parabole, c’est-à-dire à l’insu de notre plein gré, quand nous sommes endormis, quand nous n’y prenons pas garde, quand nous relâchons notre vigilance.

Elles sont le fait de notre humanité, de nos limites et faiblesses, parce que nous ne sommes pas Dieu. Seul Dieu est saint et parfait.

Nous sommes, à l’image du champ, en devenir, en croissance, un espace de vie.

La distinction dans nos relations entre ce qui porte la vie et ce qui porte la mort, n’est pas toujours facile à faire. Qu’est-ce qui fait du bien ? Du mal ? Tout est si enchevêtré. Mais, un jour, au jour de la moisson, au jour de Dieu, nous verrons parfaitement, nous serons alors débarrasser de tout ce qui nous empêche de n’être que OUI à Dieu.

En attendant, cherchons l’intrus dans nos relations, nos actions, dans notre monde et plutôt que de vouloir l’arracher à tout prix, laissons-le. Ne culpabilisons pas de mal faire, de ne pas faire aussi bien que nous l’espérions, de mal croire. Ne nous renions pas nous-mêmes au risque de détruire ce qu’il y a de beau et de bon en chacun de nous, ce que nous faisons et partageons et qui est porteur de vie.

Œuvrons, à notre tour et avec nos forces, aux semailles du Royaume, là où nous le pouvons. Sans nous lasser. Pour le reste, laissons Dieu agir.

Nous serons sans doute tour à tour épis de blés ou coquelicots. Bonnes semences ou mauvaises herbes. Qu’importe… C’est humain. Nous le savons bien. Et Dieu, lui aussi, le sait. Il nous fait confiance, il nous engage à son service. Il croit en nous. Jamais il ne se lasse.

Semons des graines de bienveillance, d’amitié, de solidarité, de fraternité, de respect. Nous en sèmerons certainement d’autres aussi, de celles dont nous ne sommes pas très fiers. Mais, qu’importe. Dieu qui voit tout, saura reconnaître la vie en nous. Il ne garde et ne gardera que le meilleur en chacun de nous pour le mettre dans son grenier, là où rien ne se perd. Le reste, tout le reste, il le jettera. Lui sait.

Il ne cessera de faire grandir la vie en nous et donnera d’en vivre alors pleinement. Ce n’est pas qu’une vaine promesse. Car demain est déjà semé aujourd’hui !

Amen.

L’Évangile comme un bonbon

Chers Amis, chers frères et sœurs en Christ,

Je vous ai apporté des bonbons.
Parce que les fleurs, c’est périssable.
Les bonbons, c’est tellement bon.

Des bonbons particuliers, parce qu’ils sont sur un écran. Ensuite, ce sont des bonbons acidulés. Vous savez, ceux qui piquent d’abord la langue et nous font grimacer et qui deviennent doux et sucrés ensuite. C’est alors qu’on les savoure.

Je dois la référence aux bonbons à mes collègues et amies : Laure Devaux, Marianne Chappuis et Diane Friedli.

L’Évangile de ce matin est un bonbon. Acide dans un premier temps. Il pique nos oreilles. Mais, ce texte, parce qu’il est râpeux, a des choses à nous apprendre sur la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu, sur nous-mêmes et nos relations des uns aux autres dans et hors de nos familles.

Car, c’est bien de relation dont il question. Un fil rouge qui traverse nos trois textes : famille et alliance, celle de Dieu. Autant de relations que nous vivons au quotidien.

Il y a d’abord cette histoire du prophète Élisée qui n’est pas sans rappeler celle de Sarah et Abraham : la promesse d’un enfant qu’on attend plus. La promesse pour un couple de devenir une famille, de nouer de nouvelles relations. L’alliance de Dieu qui traverse les âges, se rit des impossiblités humaines pour ouvrir à d’autres possibles, à de nouveaux liens.

Un jour, le prophète Élisée passait à Sunam ; une femme riche de ce pays insista pour qu’il vienne manger chez elle. Depuis, chaque fois qu’il passait par là, il allait manger chez elle.

Elle dit à son mari : « Écoute, je sais que celui qui s’arrête toujours chez nous est un saint homme de Dieu. Faisons-lui une petite chambre sur la terrasse ; nous y mettrons un lit, une table, un siège et une lampe, et quand il viendra chez nous, il pourra s’y retirer. »

Le jour où il revint, il se retira dans cette chambre pour y coucher. Puis il dit à son serviteur : « Que peut-on faire pour cette femme ? » Le serviteur répondit : « Hélas, elle n’a pas de fils, et son mari est âgé. »

Élisée lui dit : « Appelle-la. »
Le serviteur l’appela et elle se présenta à la porte.

Élisée lui dit : « À cette même époque, au temps fixé pour la naissance, tu tiendras un fils dans tes bras. »  (Deuxième livre des Rois 4, 8-11 et 14-16).

Ensuite, il y a les propos de l’apôtre Paul qui fait du baptême le sceau et le signe d’alliance des héritiers d’une vie nouvelle, frères et sœurs attachés, reliés au Christ ressuscité :

Frères, Sœurs*,

Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. (Romain 6, 3-4).

*c’est sciemment que j’ai ajouté l’interpellation aux sœurs aussi.

Et enfin, l’acidité des propos de Jésus :

En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui ne prend pas sa croix et ne me suit pas n’est pas digne de moi.

Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.

Qui vous accueille m’accueille ; et qui m’accueille accueille Celui qui m’a envoyé.

Qui accueille un prophète en sa qualité de prophète recevra une récompense de prophète ; qui accueille un homme juste en sa qualité de juste recevra une récompense de juste.

Et celui qui donnera à boire, même un simple verre d’eau fraîche, à l’un de ces petits en sa qualité de disciple, amen, je vous le dis : non, il ne perdra pas sa récompense. » (Évangile de Matthieu 10, 37-42).

Une acidité qui redonne à l’Évangile tout son piquant, ai-je envie de dire. Suivre le Christ, ce n’est pas une promenade de santé, ni un long fleuve tranquille, encore moins une vue de l’esprit. Suivre le Christ est une mise en route qui exige de tout quitter, surtout ce qui fonde notre sécurité, notre confort, ce qui est notre port d’attache. Souvenons-nous des premiers disciples, Simon et André, Jacques et Jean répondant aussitôt à l’appel du Christ, un parfait inconnu pour eux, et laissant leur père se démêler avec ses filets de pêche.

Pensons encore à Levi, Matthieu, le collecteur d’impôts, laissant ses décomptes et calculs pour se mettre à la suite de ce même Jésus qui lui a dit : « Suis-moi ».

Il y a eu d’autres qui ont radicalement changé de vie pour répondre à un appel. Ils ont tout quitter pour aller vers… ils n’en savaient rien, sans doute.

Qui a trouvé sa vie la perdra ; qui a perdu sa vie à cause de moi la gardera.

Je crois que nous avons besoin de réentendre ces paroles, un peu acides de prime abord. À l’image des bonbons. On préférerait certainement ne pas trop s’attarder et passer assez rapidement. À se dire qu’il y a sûrement mieux… Ailleurs, des mots plus sucrés, plus savoureux, plus doux aux oreilles.

Mais, ces mots parlent d’amour. Ils laissent deviner toute leur douceur, comme les bonbons, une fois la coque fendue. Et c’est cela qui compte ! L’amour. Un amour entier et exclusif, qui occupe toute une vie.
C’est parce qu’en Jésus, Dieu, le premier, nous aime d’un amour tout entier, que nous sommes appelés à l’aimer de la même manière. Le reste de notre vie, tout le reste, découle de cet amour premier.

Christain Bobin a écrit :

Si Dieu n’est pas dans nos histoires d’amour, alors nos histoires ternissent, s’effritent et s’effondrent.

L’appel du Christ impose des choix, parfois difficiles et cornéliens : qui pourrait choisir entre son père, sa mère, son fils, sa fille et Jésus ?

Mais, en accueillant Jésus, et donc Dieu, dans sa vie, en accueillant son amour pour nous, on transforme les liens qui nous unissent. On donne sa vraie place – son autonomie – à chacun. On devient petit pour donner à l’autre l’espace de grandir et devenir qui il est, qui il est appelé à être. Car, c’est bien cela que Jésus n’a eu de cesse de rappeler au travers des guérisons : redonner leur place à ceux qui n’en avaient plus, ceux à qui on ne voulait pas donner de place. C’est cela que Jésus veut pour chacun de nous : que nous soyons des hommes et des femmes libres, debout et en marche… Qui qui annonçons que chacun a une vraie place dans le monde et dans la vie, et sous le regard de Dieu. Là est l’essentiel.

Les trois mois que nous venons de vivre ont eu un impact sur nos vies, sur nos familles, sur nos vies de familles et les liens qui nous unissent. Et aussi sur notre vie d’Église et de communauté. Ceux-ci se sont-ils renforcés ? Ont-ils été mis à mal ? Y a-t-il eu des liens qui se sont tissés ou rompus dans et au-delà de notre cercle familial ? Et Dieu ? Et Jésus dans tout cela ? Avaient-ils encore une place ? La première ?

Autant de questions que je vous laisse tout simplement, sans vous demander de réponse, parce qu’elles vous appartiennent. Et je sais qu’ici, dans la paroisse de La Côte, vous avez été nombreux et nombreuses à tisser du lien, à avoir pris soin les uns des autres d’une manière ou d’une autre. À avoir donné une orientation nouvelle, et peut-être durable, à vos existences.

Cela, l’auriez-vous fait, auriez-vous pu le faire si l’amour du Christ ne vous avait pas animés ? Si vous n’aviez pas mis le Christ au centre ou à la première place ? N’avez-vous pas accueilli ou donné à accueillir le Christ dans vos vies au travers des signes d’amitié et de fraternité qui ont été les vôtres ?

Certainement pas.

Amen.