Du commissariat à la rue

Les parcours de vie qui nous ont amenés, nous diacres, à nous engager dans un ministère sont divers et variés, ce qui fait dire que nous sommes des diacres atypiques. Au fait, qu’est-ce qu’un diacre typique ? Je crois que personne ne le sait vraiment. Mais si vous le savez, merci de me le dire en commentaires.

Le site Réformés a peint récemment le portrait d’Éric Bianchi, diacre suffragant de l’Église évangélique réformée du Canton de Vaud. Eric a œuvré  auparavant dans la paroisse de Val-de-Travers de l’Église réformée évangélique du Canton de Neuchâtel.

À lire : Du commissariat au parvis.

Je prends le risque de tirer un parallèle entre nos engagements, tout en insistant que nous ne nous sommes pas concertés et que je m’exprime ici en mon nom, me basant sur l’article de Réformés. Ce que j’ai lu, et connaissant un peu Éric, me pousse à poser humblement ces quelques lignes.

Du commissarait au parvis
Article du site Réformés.ch consulté le 6 octobre 2021

Deuxième profession, mais pas deuxième choix

Le diaconat est une deuxième profession. C’est d’ailleurs un prérequis à la formation que d’avoir déjà une expérience professionnelle. Je me souviens que dans ma volée, il y avait entre autres une infirmière, une éducatrice de la petite enfance, moi-même employé de commerce.

Éric lui a été policier. Et comme il le laisse entendre, une sensibilité, un appel peut-être, déjà présent. Je le rejoins dans cette certitude qu’on ne devient pas diacre, pasteur, moine par hasard, même si le chemin personnel et professionnel nous entraîne parfois sur des chemins de traverse. Nos expériences deviennent alors de vrais talents, des compétences que nous pouvons mettre au service d’une Église, d’une paroisse, d’une aumônerie, de frères et de sœurs en humanité. Nous ne venons pas de nulle part et il ne nous est pas demandé de renier qui nous avons été. Bien au contraire !

La question nous brûle les lèvres: passer de flic à homme d’Église, une évidence? Presque. Éric Bianchi ne parle ni de reconversion, pas même de métiers, mais bien de vocations. «Je ne suis pas devenu policier pour casser des portes. Avant d’avoir un rôle répréhensif, la police a une fonction sociale, d’écoute et de respect de chacun», il en est convaincu, le diaconat s’inscrit dans une « continuité».

Réformés.ch

Je ne crois pas non plus qu’on devienne diacre par dépit, ou parce qu’on n’a pas pu être pasteur·e. En tout cas, ce n’est pas mon cas. Si j’ai hésité entre les deux ministères, mon engagement dans une aumônerie a confirmé que mon choix était le bon.

L’écriture comme point commun

L’écriture est un autre point où nous nous rejoignons. Je n’ai pas encore lu le recueil d’Éric (il fait partie de mes titres à lire), mais je suis certain qu’il doit être empreint de ce souci de l’autre, de l’attention portée à ceux et celles de ce monde. Nos expériences du terrain, notre « expertise » de certains milieux, l’accompagnement de publics-cibles particuliers font que nous avons des choses à dire et à partager. Pas seulement dans des rapports d’activités très formels, pas seulement au travers de graphiques et de statistiques. Mais aussi dans les registres de la poésie, du roman, de la nouvelle … Où l’imaginaire est nourri du concret. Où une personne rencontrée peut devenir le personnage d’une histoire, où Dieu peut s’inviter et se révéler au travers et au-delà des mots.

À lire : Au fil de l’eau par Eric Bianchi (disponible notamment chez Payot) et Un jour… La vie 9 courts récits (en téléchargement gratuit sur le site des Éditions SUR LE HAUT).

Voir aussi : Brindilles et Confettis, deux livres de mon ami et collègue diacre lui aussi Renaud Rindlisbacher.

En route vers la rencontre

Lorsqu’il était au Val-de-Travers, Éric et ses collègues ont sillonné les routes pour aller à la rencontre, parfois avec une calèche pour interpeller : une église en route. Le projet a essaimé ailleurs où de pareilles initiatives voient le jour, à l’image du Jura bernois.

La rencontre tout en humanité, teintée d’impuissance et de renoncement parfois, ou d’élans de joie à d’autres moments sont vraiment au cœur de notre ministère.

Comment changer le déni de toute une société qui passe à côté de ses personnes en marge sans même les regarder?» Lucide, donc, Éric Bianchi est habité par une «impuissance personnelle et citoyenne». Pour autant, l’homme ne se démonte pas, balançant entre douceur et humour cinglant.

Réformés.ch

Éric est maintenant à la Pastorale œcuménique de la rue de Lausanne. Je suis à La Lanterne de Neuchâtel, l’aumônerie œcuménique de rue en Ville de Neuchâtel. Des lieux emblématiques, et parmi d’autres, de la rencontre. Il ne s’agit pas de convaincre par de longs discours, ni d’imposer quoi que ce soit (à part un cadre qui permette à chacun·e d’être accueilli·e et respecté·e). Mais accueillir, écouter, accompagner, servir, ça oui !

Serviteur donc mais pas sauveur pour un sou. «Je ne suis qu’un petit homme sans solution miracle.»

Le contraire serait mentir à ceux qu’ils côtoient dans la rue.

Éric Bianchi

Je crois aussi que nous partageons cet engagement à aller vers l’autre avec fort peu de choses, en somme : peu de certitudes, pas plus de réponses, encore moins de conseils. Mais la force d’une présence et d’une écoute. Quelques mots, quand ils sont utiles. Tout cela au nom de ce Dieu de la rencontre dans l’humanité… la plus humaine.

Merci, Éric, d’être qui tu es et au service de ceux et celles que tu côtoies. Bonne route à toi.

Diaconalement à toi.

Image par Alex Fox de Pixabay

Unis au Christ – Demeurons dans son amour

Ce culte en ligne prend place dans la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. La Communauté de Grandchamp a proposé les textes, dont certains ont été adaptés ici, et a interprété les chants. J’ai imaginé et composé la méditation autour du thème : « Demeurez dans mon amour et vous porterez du fruit en abondance ».

👋 Accueil

C’est le grand désir de Dieu, exprimé par Jésus, que nous venions à lui, et demeurions en lui. Il nous attend sans se lasser, il espère qu’unis à son amour, nous portions des fruits qui fassent vivre tous ceux qui nous entourent.

Face à la différence de « l’autre », nous risquons de nous replier sur nous-mêmes et de ne voir que ce qui nous sépare. Mais écoutons le Christ nous appeler à demeurer dans son amour. Ainsi nous porterons des fruits.

Bienvenue à vous, en ce moment où nous aurions dû nous retrouver pour une célébration commune dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Cette année, ce ne sera pas possible, mais, par la communion de la prière, nous serons UN, répondant ainsi à l’appel du Christ : « Que tous soient UN, afin que le monde croie que tu [Dieu, mon Père] m’as envoyé » (Jean 17,21)

Nous vous invitons à allumer une bougie et à prendre un temps pour accueillir la présence de Dieu et des autres dans votre cœur. Accueillons-nous aussi par le chant des Sœurs de la Communauté de Grandchamp : Toi qui nous appelles.

 

🙏🏼 Prière de louange

Seigneur,

Toi le vigneron qui prend soin de nos vies avec amour, tu nous appelles à voir la beauté de chaque sarment uni au cep, la beauté de chaque personne. Et pourtant, trop souvent la peur nous surprend devant la différence de l’autre.

Nous nous replions sur nous-mêmes, la confiance en toi nous quitte et l’inimitié se développe entre nous. Viens orienter notre cœur tout à nouveau vers toi, donne-nous de vivre de ton pardon pour être ensemble à la louange de ton Nom.

Dieu de vie, tu as créé tout être humain à ton image et à ta ressemblance. Nous chantons ta louange pour le don de nos multiples cultures, expressions de foi, traditions et appartenances diverses.

Que ce temps de culte, à distance, mais unis les uns aux autres, soit pour nous un moment mis à part pour te louer, pour méditer ta parole et soutenir par nos prières nos frères et sœurs en humanité.

Amen.

📖 Lecture Évangile selon Jean 15, 1-17

Moi je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. Il enlève tout sarment qui, uni à moi, ne porte pas de fruit, mais il taille, il purifie chaque sarment qui porte du fruit, afin qu’il en porte encore plus. Vous, vous êtes déjà purs grâce à la parole que je vous ai dite. Demeurez unis à moi, comme je suis uni à vous. Un sarment ne peut pas porter de fruit par lui-même, sans être uni à la vigne ; de même, vous non plus vous ne pouvez pas porter de fruit si vous ne demeurez pas unis à moi.

Moi je suis la vigne, vous êtes les sarments. La personne qui demeure unie à moi, et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruits, car sans moi vous ne pouvez rien faire. Si vous demeurez unis à moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voulez et cela sera fait pour vous. Voici comment la gloire de mon Père se manifeste : quand vous portez beaucoup de fruits et que vous vous montrez ainsi mes disciples.

Tout comme le Père m’a aimé, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour.

Si vous obéissez à mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, tout comme j’ai obéi aux commandements de mon Père et que je demeure dans son amour.

Voici mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. (…)

Ce que je vous commande, donc, c’est de vous aimer les uns les autres.

Bref intermède chanté : La joie de notre cœur.

 

🤔 Méditation

 

Chers Amis, Chères Sœurs, chers Frères,

Voilà certainement une image qui nous parle tout particulièrement ici à La Neuveville (là où je travaille), en ce coin de pays où les vignes occupent une place de choix. Nous avons déjà certainement observé un cep, un pied de vigne, qui porte de belles grappes de fruits mûrs sur le point d’être récoltées. Ça donne envie d’y croquer à pleines dents !

Je ne suis ni vigneron ni spécialiste de la vigne, mais ce que je sais, c’est qu’un rameau, un sarment, ne peut donner de fruit s’il n’est pas rattaché, uni, à un cep. Alors, l’image de Jésus pour parler de son union avec ses disciples d’abord et avec nous ensuite n’en est que plus parlante : nous ne pouvons rien faire sans lui.

Le rameau portera de beaux fruits prometteurs en goût et en beauté, pour autant qu’il soit nourri par le cep. Nous aussi, aujourd’hui et ici, nous porterons de beaux et bons fruits si nous sommes fermement attachés à l’amour de Dieu, manifesté en Jésus le Christ.

Et ces fruits, comme le dit Jésus, seront nombreux, car Dieu, on le sait, est généreux. Il n’est que générosité. Il n’est que don.

Comment donc porter du fruit ? me demanderez-vous. Ici, là où nous sommes ? La réponse est à la fois simple et complexe : en nous aimant les uns les autres. Ça a l’air simple, mais combien ça peut être difficile de nous aimer, vraiment et sincèrement, avec nos différences, nos personnalités, nos particularités. Et ce que Jésus demande, ce n’est pas un amour de façade, mais un amour sincère, authentique, qui coûte en quelque sorte. Qui coûte au point de donner sa vie pour les autres.

Je ne sais pas si quelqu’un parmi nous, ou dans le monde, serait capable d’un tel amour, d’un tel don de soi. Un seul l’a fait ; un seul l’a vécu jusqu’au bout : Jésus-Christ. Lui qui a aimé ses amis a aimé jusqu’à ceux qui l’offensaient. Il a demandé pardon à son Père pour ceux qui le crucifiaient ! « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Et nous, aujourd’hui, jusqu’où aimons-nous ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aimer ?

Ne nous culpabilisons pas de « ne pas assez » aimer. Nous ne sommes pas le Christ ! Mais, unis à Jésus, profondément unis à lui, dans la prière et la méditation de sa Parole, dans l’abandon total à son amour, nous pourrons peu à peu, et de mieux en mieux, nous aimer les uns les autres. Et ainsi porter du fruit. Ou plutôt des fruits, beaux, bons et variés, à l’image de la Création de Dieu.

Raisins, Bouquet, Fruits, Exploitation, Récolte, Mûres
Alors, aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, demeurons dans l’amour du Christ offert à chacun, car Dieu aime la diversité. Demeurons et aimons à notre tour, nourris de la présence de Jésus au cœur de nos vies et de nos relations. Donnons à goûter de ces bons et beaux fruits à nos frères et sœurs en humanité. C’est ainsi que nous rendrons gloire à Dieu notre Seigneur. Je vous l’ai dit : c’est si simple… Et si complexe à la fois.

Amen.

🌍 Prière des uns avec les autres, et pour le monde

Ensemble, et unis au Christ notre Seigneur, nous partageons cette prière, écrite à plusieurs mains dans nos paroisses. Prière pour le monde, l’humanité tout entière, nos communautés et Églises d’ici et d’ailleurs.

Dieu de Vie,

Tu fais de nous des arbres porteurs de fruits, beaux et bons, profondément enracinés dans l’humus du monde, les bras tendus vers toi pour te louer. Par toi et avec toi, puissions-nous nourrir de ta Parole nos frères et nos sœurs en humanité. Sans toi, nous ne pouvons rien, car c’est toi qui nous donnes la sève de la Vie.

Dieu de Vie,

Nous te prions pour le monde, dans toute sa diversité. Apprends-nous à respecter, entretenir et valoriser notre terre, ta Création. Par toi et avec toi, portons les fruits de la paix, de la solidarité, de l’amour du prochain. Sans toi, nous ne pouvons rien, car c’est toi qui nous donnes la sève de la Vie.

Seigneur,

Nous espérons bientôt aller vers d’autres horizons que ceux de la pandémie, au-delà des distanciations, pour pouvoir se retrouver, se rencontrer.

Sur ce chemin de renouveau, apprends-nous aussi, Seigneur, à apaiser les rancœurs, les trahisons et les colères. Afin que nous puissions nous émerveiller à nouveau, des liens de communion toujours possibles les uns avec les autres.

Sur ce chemin de renouveau, apprends-nous à ne pas nous arrêter sur nos fermetures et nos peurs, mais à réveiller en nous un élan de reconnaissance. Tu nous as créés si différents. Nos visages ont toutes les couleurs et ta lumière passe sur leur variété.

Sur ce chemin de renouveau, apprends-nous à nous réjouir de nous avoir donné plusieurs langages.

Tu multiplies ainsi, dans l’expression de l’humain, la recherche de ton visage. Nous sommes frères et sœurs en Christ.

Oui, nous te louons Seigneur, car tu nous as donné de nous découvrir les uns les autres et de nous réjouir, d’autant plus intensément, de nos rencontres à venir.

Dieu de Vie,

Avec le Pape François en ce mois de janvier, nous te prions de nous donner la grâce de vivre en pleine fraternité avec nos frères et sœurs d’autres religions, en priant les uns pour les autres, ouverts à tous. Sans toi, nous ne pouvons rien, car c’est toi qui nous donnes la sève de la Vie.

Unis au Christ Jésus, notre frère et Seigneur, nous disons avec confiance la prière des enfants de Dieu d’un seul cœur et d’une seule voix :

🙌 Bénédiction avec les mots de la communauté de Grandchamp

Prie et travaille pour qu’il règne. Que dans ta journée, labeur et repos soient vivifiés par la parole de Dieu.  Maintiens en tout le silence intérieur pour demeurer en Christ. Pénètre-toi de l’esprit des Béatitudes : Joie, simplicité, miséricorde.

Soyez un pour que le monde croie ! Demeurez dans son amour, allez dans le monde et portez des fruits !

Que le Dieu de l’espérance nous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi, pour que nous abondions en espérance par la puissance de l’Esprit Saint.  Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen.

Quittons-nous avec ce chants en plusieurs langues : Lumière de Dieu.

 

Retrouvez ici les chants de la Communauté de Grandchamp, la lecture et la méditation :

Dieu, mon amour

Quatrième et dernier type de relation interpersonnelle évoqué par Robert Neuburger dans son livre Exister  : la relation amoureuse.

Je m’essaie, encore une fois, à la mettre en perspective avec ma relation à Dieu.

Une relation au-dessus des autres

Voici ce qu’écrit Neuburger :

[La relation amoureuse], c’est la plus dévorante. Elle nous fait privilégier de manière irrationnelle une relation duelle exclusive avec un être élu. Lorsqu’elle se développe, elle domine toutes les autres relations. Sur elle, beaucoup a été écrit et peu a été compris (…) Ce qu’on cherche chez l’autre, c’est l’amour qu’il nous témoigne et le désir qu’on peut éveiller chez lui. Chacun est en quelque sorte amoureux de l’amour de l’autre.

Exister, p. 29

Je rejoins aisément Neuburger quand il affirme que beaucoup a été écrit et peu compris. Combien d’artistes ont évoqué ou représenté l’amour dans les différentes formes de l’art. Mais quant à expliquer le pourquoi et le comment de l’amour, c’est une autre chanson (pas d’amour, celle-là !). Les explications médicales et scientifiques enlèvent toute poésie à ce noble sentiment, ramené à des hormones, des neurones, des impulsions électriques du cerveau.

Si, pour le romantique (que je suis), l’amour se passe dans le cœur, pour le scientifique (que je respecte), tout se joue dans le cerveau.

Un couple d'amoureux
 

Mais, revenons à cette relation au-dessus des autres, exclusive, qui est celle de Dieu avec un peuple d’abord.

Un amour à deux dimensions

Avant de nous y intéresser, un petit détour encore par Neuburger : en parlant du groupe couple, il écrit ceci :

Qu’apporte, en effet, le couple au sentiment d’exister ? Un autre amour que l’amour relationnel. Dans le couple, il y a deux amours, d’une part celui que l’on porte à son partenaire et que nous porte notre partenaire et, d’autre part, celui que les deux partenaires portent au couple qu’ils ont construit, la petite institution, que j’appelle volontiers la « maison-couple ».

Exister, p. 42

Ces deux dimensions de l’amour sont parlantes aussi dans la relation à Dieu. D’abord, parce qu’il y a cet amour (premier) de Dieu pour son peuple et pour l’ensemble de ses créatures et la réponse de ce peuple et des croyants par la foi. Ensuite, le soin porté à entretenir, développer, enrichir la relation Dieu-humain par des pratiques, telles que la lecture des Écritures, la célébration, la prière, la méditation, l’émerveillement…

Un amour, deux dimensions, une alliance et dix commandements

La relation exclusive (que je qualifie d’amoureuse au sens de Neuburger) de Dieu s’adresse d’abord à un peuple, sous la forme d’une alliance, celle conclue avec Israël1. Peuple d’hébreux d’abord esclaves en Egypte, puis libérés et conduits à travers le désert vers la Terre promise par Dieu, comme le résume ce texte de l’Exode :

(2) Dieu parla encore à Moïse, et lui dit: Je suis l’Éternel. (3) Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob, comme le Dieu tout puissant; mais je n’ai pas été connu d’eux sous mon nom, l’Éternel.(4) J’ai aussi établi mon alliance avec eux, pour leur donner le pays de Canaan, le pays de leurs pèlerinages, dans lequel ils ont séjourné.(5) J’ai entendu les gémissements des enfants d’Israël, que les Égyptiens tiennent dans la servitude, et je me suis souvenu de mon alliance. (6) C’est pourquoi dis aux enfants d’Israël: Je suis l’Éternel, je vous affranchirai des travaux dont vous chargent les Égyptiens, je vous délivrerai de leur servitude, et je vous sauverai à bras étendu et par de grands jugements. (7) Je vous prendrai pour mon peuple, je serai votre Dieu, et vous saurez que c’est moi, l’Éternel, votre Dieu, qui vous affranchis des travaux dont vous chargent les Égyptiens.

Exode 6, 4-7

L’alliance, dont l’initiative revient à Dieu s’est d’abord établie avec Noé, Abraham et ses descendants, puis Moïse.

Une alliance, signe d'un amour partagé
 

Un autre texte emblématique qui encadre cette relation est le Décalogue ou les Dix commandements. Les quatre premières exhortations mettent d’abord en évidence l’exclusivité de Dieu par rapport aux autres divinités :

(3) »Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi.
(4) »Tu ne te feras pas de sculpture sacrée ni de représentation de ce qui est en haut dans le ciel, en bas sur la terre et dans l’eau plus bas que la terre.
(5) Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas, car moi, l’Eternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux. Je punis la faute des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me détestent, (6) et j’agis avec bonté jusqu’à 1000 générations envers ceux qui m’aiment et qui respectent mes commandements.
(7) »Tu n’utiliseras pas le nom de l’Eternel, ton Dieu, à la légère, car l’Eternel ne laissera pas impuni celui qui utilisera son nom à la légère.
(8) »Souviens-toi de faire du jour du repos un jour saint. (9) Pendant 6 jours, tu travailleras et tu feras tout ce que tu dois faire. (10) Mais le septième jour est le jour du repos de l’Eternel, ton Dieu. Tu ne feras aucun travail, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton esclave, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui habite chez toi. (11) En effet, en 6 jours l’Eternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et il s’est reposé le septième jour. Voilà pourquoi l’Eternel a béni le jour du repos et en a fait un jour saint.

Exode 20, 3-11

Cette exclusivité sera reprise par Jésus comme un avertissement à n’avoir qu’un seul maître :

(13) Aucun serviteur ne peut être en même temps au service de deux maîtres. En effet, ou bien il détestera l’un et aimera l’autre ; ou bien il sera dévoué au premier et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir en même temps Dieu et l’Argent.

Évangile de Luc 16, 13

On rencontre l’expression « Je suis un Dieu jaloux ». Il me paraît nécessaire ici de préciser ce qu’on entend par jalousie divine qui s’écarte de la compréhension humainement amoureuse, liée à l’envie. Je me réfère ici à l’article signé Pietro Povati dans le Dictionnaire critique de théologie2 :

Dans les écrits de l’Ancien Testament le terme de jalousie appliqué à Dieu (ou YHWH) se rapproche de l’idée de « zèle ». Le Nouveau Testament, pour sa part, introduira la notion de « passion puissante », ce qui se traduit par un amour possessif : « Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi ». Ainsi, la jalousie divine décrit un attachement exclusif et irrévocable de Dieu à Israël, comme partenaire de l’alliance.

Le texte d’Exode 20 met bien en évidence aussi les deux aspects de la jalousie : l’amour exclusif dont tout écart est sanctionné sur 3 ou 4 générations (seulement) et le pardon bien plus large, quasi illimité (jusqu’à 1000 générations).

Un contre tous…
 

Il y aurait certainement encore à dire à ce sujet. Mais l’espace me manque. N’hésitez pas à commenter.

Ma relation à Dieu

Comment puis-je dès lors entretenir une relation saine (voire sainte) avec ce Dieu jaloux et exculsif ? Je crois d’abord que cela me fait prendre conscience de la dimension quasi insondable de l’amour de Dieu pour son peuple et donc chacun·e, ses enfants.

Neuburger rappelle aussi que ces types de relations ne sont pas cloisonnés : une relation nourricière peut s’insinuer ou cohabiter dans une relation amoureuse : l’un des conjoints assumant ce rôle vis-à-vis de l’autre. Par conséquent, Dieu peut à la fois être la source nourricière de cet amour et le partenaire de cette même relation.

Le Dieu jaloux m’incite à m’interroger sur mon besoin d’être reconnu comme un être aimable, dans le sens qui peut être aimé. Et de me sentir aimé par lui, Dieu, même si j’éprouve des difficultés à m’aimer moi-même : « être amoureux de l’amour de l’autre. » écrit Neuburger.

Je prends alors conscience que cette acceptation ne peut venir que de Dieu et que lui d’abord m’offre un amour inconditionnel et exclusif, par pure grâce, sans que je doive prouver un quelconque mérite.

Sans tomber dans un mysticisme fondamental, je tente aussi d’entretenir et de raviver toujours et encore ce lien qui me relie à Dieu au travers des autres, de chercher ce Dieu qui se laisse trouver, un peu comme une partie de cache-cache entre amoureux. La lecture de la Parole, les célébrations, la prière, la marche,la méditation, la photographie, entre autres choses, m’y aident.

Dieu, où est mon amour pour toi ?

Et cette réflexion m’interroge plus encore sur ce que le monde et la société élèvent en dieux d’aujourd’hui : notoriété, productivité, individualisme, enrichissement, succès… Il nous faut « être quelqu’un« , « avoir réussi sa vie », « gagner un certain salaire »… Et mon rapport à la quête de parvenir à ces objectifs.

Réussir à tout prix
 

Et Dieu dans tout cela ? Où est cet amour exclusif pour lui dans cette quête sans fin à la reconnaissance ? Et si un grain de sable, un accident, un obstacle viennent tout remettre en question ?
Faudrait-t-il attendre de se casser la figure pour renouer une relation amoureuse ou nourricière avec Dieu qui sera toujours là à nous attendre et à nous accueillir. Ou bien est-il temps d’y réfléchir vraiment ?

Questions à (se) poser :

  • Qu’est-ce que je trouve dans la relation à Dieu qui puisse nourrir ma relation avec un être aimé ?
  • Comment accepter la jalousie ? Est-elle une composante nécessaire ou incontournable du couple ?
  • Qu’est-ce qui fait que je peux être aimé de l’autre ?
  • Qu’est-ce qui influence mon sentiment d’être reconnu ou pas ?
  • Et Dieu dans tout cela ? Quelle place a-t-il ?

  1. Le terme d’alliance, s’il peut être employé pour définir un contrat entre États ou personnes dans un cadre par exemple commercial ou militaire, renvoie plus souvent à l’union de deux personnes liées par un amour partagé. 
  2. Ed. Presses universitaires de France, 1998, p. 707-708. 

Tu es mon frère

Troisième billet consacré aux relations interpersonnelles qui se base sur le livre Exister du psychiatre Robert Neuburger. Comme précédemment, je vais essayer de mettre ce que dit Neuburger en perspective de la relation à Dieu et à ma foi. Ce faisant, j’essaie de répondre à ce commentaire d’Elio Jaillet.

frères, si semblables, si différents
 

Intéressons-nous à la relation fraternelle et lisons d’abord ce qu’en dit Neuburger :

[Cette relation] est ce que l’enfant apprend au contact de ses « frères ». J’entends par là les autres enfants de sa propre famille ou les enfants qu’il va connaître à la crèche ou plus tard à l’école maternelle, voire simplement au square dans le bac à sable (…) La relation fraternelle nous relie à d’autres êtres que nous élisons comme étant des « frères » au sens de « semblables » (…) Le maître-mot de cette relation est le partage, le fait de vivre une expérience qui prend consistance parce qu’un autre la partage, d’exister dans ce plaisir partagé.

Exister, pp. 27-28

Le psychiatre emploie le masculin, mais ce qui est dit ici et dans ce qui suit peut (voire doit) s’entendre aussi au féminin, et ainsi passer de frères à sœurs.

Mes frères que je me choisis

De ce court extrait, je peux déjà dégager deux pistes de la fraternité. D’abord une fraternité de fait, biologique, où chacun, issu d’une même mère, est porteur d’un même patrimoine génétique et ensuite une fraternité de choix, sociale, où je me choisis ceux qui deviendront mes frères ou mes sœeurs. Ce qui va guider mes choix, ce sera l’envie de partager quelque chose de commun, ce qui me communiquera le sentiment d’exister.

On voit déjà poindre la compréhension religieuse de la fraternité, dans ce sens où je rejoins une communauté où je peux partager des valeurs qui me font sentir exister dans le partage d’une foi en un même Dieu, d’une même espérance et d’un même credo. D’ailleurs, ne parle-t-on pas des communautés religieuses composées de frères et/ou de sœurs1 ?

Un cloître
 

Sacrés frères

Les histoires bibliques font la part belle aux familles et notamment aux relations entre frères. Mais étrangement, ces photographies familiales mettent plus en évidence des relations conflictuelles qu’harmonieuses. Pensons par exemple à Caïn et Abel, Esaü et Jacob, Joseph et ses frères. Cette approche n’étonne pas Neuburger :

Les premiers rapports sont souvent rugueux. Découvrir que l’on n’est pas le seul de son espèce dans le regard maternel est une rude épreuve qui engendre ce que Lacan appelle le complexe de fraternité. Sur ce point, le psychanalyste était nanti, ayant un frère qui, non seulement lui faisait de l’ombre à l’intérieur de sa famille, mais aussi était frère en religion, donc lui volait une part important de regard de Dieu.

Exister, p. 27

Cette référence à Lacan n’est pas sans rappeler une parabole célèbre de Jésus, celle du fils prodique, et cet extrait notamment, le reproche de l’aîné à son père :

(29) Mais lui répondit : « Cela fait tant et tant d’années que je suis à ton service ; jamais je n’ai désobéi à tes ordres. Et pas une seule fois tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. (30) Mais quand celui-là revient, “ton fils” qui a mangé ta fortune avec des prostituées, pour lui, tu tues le veau gras !

Évangile de Luc 15, 29-30.

La relation à Dieu

Comme déjà évoqué dans le billet à propos de la relation nourricière, Dieu est notre origine commune. Il est ce Dieu nourricier d’un amour sans limite. Dans cette perspective croyante en Jésus-Christ, nous sommes appelés enfants de Dieu :

(1) Voyez quel amour le Père nous a témoigné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu! Et nous le sommes! Si le monde ne vous connaît pas, c’est qu’il ne l’a pas connu, lui. (2) Bien-aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour n’a pas encore été révélé. Mais nous savons que, lorsque Christ apparaîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. (3) Toute personne qui possède cette espérance en lui se purifie comme lui-même est pur.

Première lettre de Jean 1, 1-3

Mais la relation de Dieu à l’humain n’est pas que verticale (ou asymétrique), elle est aussi horizontale, en Jésus-Christ. En lui, c’est Dieu qui offre un vis-à-vis, un semblable, un frère à l’humain, qui permet alors de se relier au Divin, de le voir à notre hauteur.

Souvenirs d'enfance
 

Du Fils au frère

Ainsi, de Fils de Dieu le Père, Jésus se fait frère des humains. Lors de son baptême, la voix venant du ciel2 qualifie Jésus de Fils, qui bénéficie de l’amour (ou l’approbation) du Père :

(16) Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Alors le ciel s’ouvrit pour lui et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. (17) Au même instant, une voix fit entendre du ciel ces paroles: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation.»

Évangile de Matthieu 3, 16-17

Plus loin, lors de la transfiguration, cette même voix se fera à nouveau entendre aux trois disciples témoins de cette scène et légitimera Jésus à être écouté en tant que fils :

(35) Et de la nuée sortit une voix qui dit: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé: écoutez-le!»

Luc 9, 35

C’est le Prologue de Jean qui opère la transition du Fils du Père au frère, semblable :

(14) Et la Parole s’est faite homme, elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité, et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.

Évangile de Jean 1, 14

Ainsi, en Jésus-Christ, c’est la parole de Dieu, force de création et de relation, qui devient un habitant de ce monde, semblable aux autres.

La lettre aux Philippiens ne dit pas autre chose :

(6)… Jésus-Christ: lui qui est de condition divine,
il n’a pas regardé son égalité avec Dieu comme un butin à préserver, (7) mais il s’est dépouillé lui-même en prenant une condition de serviteur, en devenant semblable aux êtres humains. Reconnu comme un simple homme (…)

Philippiens 2, 6-7

Tous frères, vraiment ?

On pourra certainement se demander si nous sommes vraiment tous frères et sœurs. En humanité, certainement, puisque nous partageons une commune condition : celle de vivants et de mortels appartenant à la famille homo sapiens.

Bien plus encore, à la lecture de Neuburger, et dans son chapitre consacré à la dépression, on prend conscience qu’aucune catégorie, fût-elle le résultat d’un diagnostic médical plus ou moins justifié, n’enlève la qualité fraternelle de chaque être humain :

(…) en considérant que la plupart des déprimés sont des sujets normaux confrontés ou ayant été confrontés à un environnement anormal. Le « déprimé » est d’abord notre frère : il n’y a pas de destin programmé.

Exister, p. 144.

Remarquez que les guillemets portent sur déprimé et non sur frère. Le premier pouvant être questionné, le second terme ne l’est pas.

Pour en revenir à l’approche des Écritures, Jésus va redéfinir la relation fraternelle, mais plus largement celles des membres de la famille, au-delà des seuls liens du sang :

(48) Mais Jésus lui répondit : Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? (49) Puis, désignant ses disciples d’un geste de la main, il ajouta : Ma mère et mes frères, les voici. (50) Car celui qui fait la volonté de mon Père céleste, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère.

Évangile de Matthieu 12, 48-50

On notera au passage qu’il n’y a pas de redéfinition liée au Père, puisque Dieu est seul Père pour tous les humains : « Ne donnez pas non plus à quelqu’un, ici-bas, le titre de « Père », car pour vous, il n’y a qu’un seul Père : le Père céleste. » (Matthieu 23,9).

Un beau tableau de famille
L’apôtre Paul fera allusion, notamment dans sa seconde lettre aux Corinthiens à de faux frères qu’on peut entendre comme des prédicateurs itinérants, porteurs de messages jugés hérétiques par Paul.

Ma relation à Dieu

Ma relation à Dieu se trouve dès lors stimulée par cette réflexion qui me conduit à regarder mon prochain avec les yeux d’un frère et à le considérer comme un frère, une sœur. Car, en lui, c’est Dieu que je suis appelé à aimer :

(19) Quant à nous, nous aimons parce que Dieu nous a aimés le premier. (20) Si quelqu’un prétend aimer Dieu tout en détestant son frère, c’est un menteur. Car s’il n’aime pas son frère qu’il voit, il ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. (21) D’ailleurs, Christ lui-même nous a donné ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère.

Première lettre de Jean 4, 19-21

Je crois que tout est dit dans ces quelques mots : une verticalité en cet amour premier de ce Dieu nourricier qui me précède et me dépasse. Ce Dieu qui a créé chacun·e à son image et capable d’aimer. Ensuite, cet appel à l’horizontalité dans la reconnaissance de l’autre, quel qu’il soit, comme mon frère, et frère de Jésus-Christ. Enfin, une cohérence à défendre, un rappel à y revenir toujours et encore : la verticalité n’est rien sans l’horizontalité et vice-versa.

Questions à (se) poser :

  • Quelles personnes ont été, dans ma vie, des frères ou des sœurs, également au-dela du cercle famillial ?
  • La construction de soi, au contact de frères, passe-t-elle toujours par la confrontation ?
  • Comment ma relation à Dieu influence-t-elle ma relation à mes frères en humanité ?
  • Est-ce que je fais une différence entre frères en humanité et en Christ (ou en Dieu) ?

  1. Dans son livre, Neuburger rappelle que dans certaines langues, à l’image du grec et du latin, il existe une distinction de mots pour désigner des frères de sang des frères de foi (Exister, pp. 38-39). 
  2. Une manière de définir Dieu dont la voix est créatrice, notamment de relation (voir par exemple Gn 3) et de paix, puisque les Évangiles y ajoutent la manifestation d’une colombe. 

Deviens qui tu es

Je poursuis mes réflexions à partir du livre Exister, du psychiatre Robert Neuburger, et notamment la mise en perspective des types de relations interpersonnelles qu’il relève en lien avec Dieu et ma foi.

Dans cet article, je me penche sur la relation d’autorité de personne à personne1.

J’ai d’abord imaginé parler de l’image du Père, en lien avec une relation paternelle, mais je me suis vite rendu compte que j’allais tomber dans une dichotomie père-mère, masculin-féminin, qui n’est pas voulue par l’auteur.

Neuburger préfère parler de relation d’autorité que de relation paternelle. Selon lui, il s’agit ici de rôles assumés, indépendamment du genre.

De l’autorité nécessaire

Lisons Neuburger :

La relation d’autorité peut être définie comme une relation (…) asymétrique, où l’un dispose d’une autorité qui lui et conférée de par sa position de parent qui implique une responsabilité éducative qu’il ou elle doit exercer et qui doit être reconnue socialement, et l’autre, l’enfant, lui devant respect et obéissance.

Exister, p. 26.

En tentant de mettre la définition proposée par Neuburger en regard de notre société actuelle, on se rend vite compte qu’il a raison : les différents modèles de familles d’aujourd’hui montrent combien ce rôle est aussi assumé par des femmes, des mères, des sœurs, des partenaires.

Au sein de la famille, s’il y a une relation nourricière qu’on verra comme celle qui donne un sentiment d’existence par un lien fusionnel, il y en a une autre, celle d’autorité, qui tend à mettre un cadre, à fixer des règles, à différencier ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Ça fait partie de l’éducation. D’ailleurs, on le sait bien : éduquer, c’est aimer.

Un regard d'enfant

On comprend aisément qu’un enfant ait besoin tout à la fois de lait et de règles pour se construire. Et se construire, c’est aussi devenir qui on est appelé à être. Ainsi, l’autorité n’est pas seulement restrictive, mais ouvre à un avenir en tant qu’individu. Si l’autorité infantilise, elle glisse alors vers l’autoritarisme.

Je vais essayer de mettre en perspective cette compréhension de l’autorité avec celle exercée par Jésus. Ce sera un survol plus qu’une étude approfondie.

L’autorité de Jésus

Jésus et les chefs religieux

Jésus va se frotter à des responsables religieux, notamment les scribes et les pharisiens qui font autorité. Il montrera à plusieurs reprises son désaccord avec leurs pratiques, les qualifiant d’ « aveugles qui guident d’autres aveugles » ou d’« engeances de vipère ».

Ce qui est en jeu ici, c’est la priorité mise par les responsables au strict respect, à la stricte obéissance, des préceptes de la Loi. Ils comprennent, ou font comprendre, cette Loi comme une liste de permis-interdits, au risque d’en perdre le sens premier, notamment concernant le sabbat, le jour dédié à Dieu. Jésus rappellera d’ailleurs que :

(27) le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat, (28) de sorte que le Fils de l’homme est maître même du sabbat.

Marc 2, 27-28.

Une interdiction

Une parole qui fait force

D’autres épisodes des Évangiles montrent un Jésus qui fait preuve d’une autorité qui étonne ceux qui en sont témoins.

(21)… À Capharnaüm, le jour du sabbat, Jésus entra d’abord dans la synagogue, et il enseigna. (22) Ils étaient frappés de sa doctrine; car il enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.(23) Il se trouva dans leur synagogue un homme qui avait un esprit impur, et qui s’écria: (24) Qu’y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es: le Saint de Dieu. (25) Jésus le menaça, disant: Tais-toi, et sors de cet homme. (26) Et l’esprit impur sortit de cet homme, en l’agitant avec violence, et en poussant un grand cri. (27) Tous furent saisis de stupéfaction, de sorte qu’il se demandaient les uns aux autres: Qu’est-ce que ceci? Une nouvelle doctrine! Il commande avec autorité même aux esprits impurs, et ils lui obéissent!

Marc 1, 21-28

Sans faire une étude approfondie de ce texte, je relève que le mot autorité y est mentionné deux fois dans des significations différentes.

La première manière est que Jésus enseigne comme ayant autorité, c’est-à-dire comme celui qui prend le devant de la scène, qui se reconnaît une légitimité à enseigner. Cela étonne, car les scribes, eux, enseignaient de manière corporatiste, « comme une collectivité d’enseignants attitrés, interprètes institutionnellement autorisés de la Loi, en référence à la tradition des Anciens »2. Et Jésus n’est pas scribe; du moins, il ne fait pas partie de cette corporation.

La seconde compréhension est la manière dont Jésus s’adresse à l’esprit impur3. Jésus commande et se fait obéir de cet esprit. Comme ce sera le cas des éléments dans la tempête sur le lac :

 

(36) Après avoir renvoyé la foule, ils emmenèrent [Jésus] dans la barque où il se trouvait; il y avait aussi d’autres barques avec lui.(37) Il s’éleva un grand tourbillon, et les flots se jetaient dans la barque, au point qu’elle se remplissait déjà. (38) Et lui, il dormait à la poupe sur le coussin. Ils le réveillèrent, et lui dirent: Maître, ne t’inquiètes-tu pas de ce que nous périssons? (39) S’étant réveillé, il menaça le vent, et dit à la mer: Silence! tais-toi! Et le vent cessa, et il y eut un grand calme. (40) Puis il leur dit: Pourquoi avez-vous ainsi peur? Comment n’avez-vous point de foi? (41) Ils furent saisis d’une grande frayeur, et ils se dirent les uns aux autres: Quel est donc celui-ci, à qui obéissent même le vent et la mer ?

Marc 4, 36-41

Ainsi, cet épisode vient confirmer que Jésus est bel et bien le Fils de Dieu, ou Dieu lui-même, qui peut faire lever une tempête ou la réduire au silence. On retrouve cette allusion dans le psaume 107 :

(25) Il dit, et il fit souffler la tempête, Qui souleva les flots de la mer. (26) Ils montaient vers les cieux, ils descendaient dans l’abîme; Leur âme était éperdue en face du danger; (27) Saisis de vertige, ils chancelaient comme un homme ivre, Et toute leur habileté était anéantie. (28) Dans leur détresse, ils crièrent à l’Éternel, Et il les délivra de leurs angoisses; (29) Il arrêta la tempête, ramena le calme, Et les ondes se turent. (30) Ils se réjouirent de ce qu’elles s’étaient apaisées, Et l’Éternel les conduisit au port désiré.

Psaumes 107, 25-30

Les exemples seraient nombreux, évidemment, montrant Jésus en thérapeute qui chasse les démons (ou esprits). Mais, j’aimerais aborder une autre dimension de l’autorité qui peut nous faire grandir dans notre notre condition d’humains et de croyants.

L’autorité qui autorise

Le sens premier du mot « autorité » est la capacité de faire grandir.

J’ai aussi entendu une définition qui ressemble à cela, mais dont je n’ai pas retrouvé la source :

Faire preuve d’autorité, c’est donner l’espace à l’autre de devenir qui il est appelé à être, à l’autoriser à de devenir auteur de sa propre vie.

Et j’aime beaucoup cette manière de différencier l’autorité de l’autoritarisme. Ce dernier étant de rabaisser au lieu d’élever.

Cela nous ramène aux rôles des parents qui ne cherchent pas tant à se faire obéir qu’à lui donner un cadre et des limites, lui permettant de devenir qui il est appelé à être. Je suis évidemment attristé et révolté par des ces parents destructeurs qui font preuve de violences sous diverses formes.

Je crois qu’il y a une différence fondamentale entre : « Tu seras médecin, mon fils, comme ton père ! » et « Tu seras chanteur (ou artiste), mon fils, si c’est là ton rêve, ton choix, et nous te soutiendrons ! Même si nous aurions préféré que tu sois médecin. »

Un père qui laisse son enfant grandir

Le texte de guérison par Jésus cité plus haut porte aussi cette dimension de rendre sa vie à celui qui en est dépossédé par un esprit. J’ai entendu combien une maladie peut prendre le contrôle ou le faire perdre à celui ou celle qui en souffre : « Je ne me reconnais plus ! », « Ce n’est plus moi ! » disent certains malades.

Guérir, c’est donc aussi être rétabli comme auteur de sa propre vie et cela se joue dans la rencontre qui devient synonyme d’histoires qu’on raconte et qu’on se raconte, à soi et aux autres.

Et certaines rencontres pourront être décisives, changer le cours d’une vie, être des résurrections, de nouveaux départs.

Ce que cela me dit de ma relation à Dieu

Je crois que Dieu me veut auteur de ma vie, en communion avec lui et lui avec moi. Il ne me veut pas marionnette ni lui marionnettiste !

Être libre, sous le regard de Dieu, c’est être son enfant sous son regard aimant qui se réjouit de me voir grandir et devenir quelqu’un, ce quelqu’un que je suis appelé à être.

Un modèle… parmi d'autres

Je crois encore que tout ce qui vise à rabaisser, à mépriser, à affaiblir, tout cela ne vient pas de Dieu, mais de nous-mêmes, de notre volonté à vouloir être dieu à la place de Dieu. Si nous confondons autorité et autoritarisme, alors nous ne sommes pas très loin de construire notre propre tour de Babel.

Questions à (se) poser :

  • Comment est-ce que je vis, ou ai-je vécu, les limites imposées par mes parents ?
  • Qui ont été ou qui sont encore mes figures d’autorité ?
  • Quelles ont été les personnes qui m’ont permis d’être qui je suis aujourd’hui ?
  • Que m’autorise ou m’interdit ma relation à Dieu dans mes actions aujourd’hui ?

 


  1. Je fais le choix de ne pas aborder les questions liées avec les autorités, en tant qu’institutions. 
  2. Le Nouveau Testament commenté. Sous la direction de Camille Focant et Daniel Marguerat. Ed. Bayard 2012, p. 162. 
  3. Notez que le dialogue se passe entre Jésus et l’esprit et non entre Jésus et l’homme. La nuance me paraît importante.