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Dieu, notre mère

Dans mon article à propos de l’appartenance, j’ai évoqué les quatre relations entre individus relevées par Robert Neuburger dans son livre Exister.

À l’invitation d’Elio dans son commentaire, je reprends ces quatre dimensions relationnelles décrites pour les mettre en regard avec Dieu et ma foi, qui est ma relation au Divin. Cet article reprend la relation nourricière ou maternelle.

Neuburger fait ici une précision : une relation maternelle n’est pas l’exclusivité de la mère biologique ou familiale, tout comme une relation paternelle, ou d’autorité, n’est pas réservée au seul père biologique ou familial. Il s’agit plutôt de fonctions assumées1.

Un besoin vital de relations

Le nourrisson a un besoin vital de cette relation fusionnelle qui le fait exister aux yeux de sa mère, mais il s’agit, comme dans toute relation, d’un échange et la mère a donc besoin d’être reconnue comme telle par son enfant. (…)

Cette relation primaire est symbolisée par le nourrissage, modèle d’une relation ultérieure que les humains rechercheront toute leur vie sous des formes plus ou moins sublimées.

Exister, p. 25

La naissance d’un enfant est plus qu’une simple mise au monde. La mère, qui a porté en elle cet enfant, son enfant, en a déjà pris soin avant même qu’elle puisse le voir. La relation est bel et bien fusionnelle puisque l’enfant a grandi dans son ventre et tous les deux ne formaient qu’un seul corps2.

La naissance, la venue au monde
La Bible, dans son première livre de la Genèse, montre que Dieu est à l’origine de la relation d’avec l’humain. Il est la Source de vie.

Symboliquement, c’est Dieu qui forme l’être humain au moyen de poussière (qu’on pourrait rapprocher de la matière organique dont chacun de nous est constitué) et qui lui donne vie par son souffle (ce qui se serait cette essence de vie)3.

En ce sens, Dieu devient mère, ou accoucheuse de l’humain :

(7) L’Eternel Dieu façonna l’homme avec de la poussière du sol, il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant.

Genèse 2, 7

Il y a encore ces mots magnifiques du psaume 139 :

(13) Tu m’as fait ce que je suis, et tu m’as tissé dans le ventre de ma mère. (14) Je te loue d’avoir fait de moi une créature aussi merveilleuse : tu fais des merveilles, et je le reconnais bien. (15) Mon corps n’était pas caché à tes yeux quand, dans le secret, je fus façonné et tissé comme dans les profondeurs de la terre. (16) Je n’étais encore qu’une masse informe, mais tu me voyais et, dans ton registre, se trouvaient déjà inscrits tous les jours que tu m’avais destinés
alors qu’aucun d’eux n’existait encore.

Psaume 139, 13-16

Ceci laisse entendre que nous ne venons pas de nulle part et que nous sommes pas un simple composé d’atomes et de matière, mais que nous portons en nous un souffle de vie donné et surtout que l’humain est voulu et connu de Dieu. De plus, si la femme porte la vie, c’est Dieu qui donne la Vie.

Un besoin de relations

La vie n’est pas que biologique, elle est aussi et surtout relations. S’il n’est pas bon que l’homme soit seul, il n’est pas bon non plus que Dieu soit seul. Et il est le premier à le comprendre et à vouloir y remédier. Il façonne par conséquent l’humain pour avoir un vis-à-vis, pour inaugurer et développer une relation4. Dieu se met à la recherche de l’humain :

(9) Mais l’Eternel Dieu appela l’homme et lui demanda : Où es-tu ?

Genèse 3, 9

Tu m'as cherché, je t'ai trouvé
Je crois que cette question n’est ni anodine ni anecdotique, comme posée une fois pour toutes dans l’histoire de cette relation de Dieu à l’humain. Elle est de celles qui sont posées à chacun·e d’entre nous et toute au long de notre vie. Dieu non seulement s’intéresse à nous, mais il s’inquiète de nous. Il ne cesse de nous chercher, bien plus que nous le cherchons nous-mêmes. Et surtout, Dieu se laisse trouver :

(12) Alors vous m’invoquerez et vous viendrez m’adresser vos prières, et je vous exaucerai. (13) Vous vous tournerez vers moi et vous me trouverez lorsque vous vous tournerez vers moi de tout votre cœur. (14) Je me laisserai trouver par vous – l’Eternel le déclare(…)

Jérémie 29, 12-14

La réponse de l’humain, créature de Dieu, est alors de se tourner à son tour vers son Dieu, de le chercher 5 :

(2) O Dieu, tu es mon Dieu ! C’est toi que je recherche. Mon âme a soif de toi, mon corps même ne cesse de languir après toi comme une terre aride, desséchée et sans eau.

Psaume 63, 2

Une mère pour ses enfants, vraiment ?

Mais il y a d’autres textes plus rudes : le récit introduisant le Déluge montre un Dieu-mère qui regrette d’avoir mis au monde, qui aurait peut-être préféré ne pas avoir fait naître de pareils enfants, en voyant ce qu’ils sont devenus6. Et parce que Dieu est Dieu, il pourrait tout détruire, tout recommencer, à l’image de la page raturée d’un cahier qu’on arrache pour faire croire qu’elle n’a jamais existé. Il en a d’ailleurs le projet :

(5) L’Eternel vit que les hommes commettaient beaucoup de mal sur la terre et que toutes les pensées de leur cœur se portaient constamment et uniquement vers le mal. (6) L’Eternel regretta d’avoir fait l’homme sur la terre et eut le cœur peiné. (7) L’Eternel dit: «J’exterminerai de la surface de la terre l’homme que j’ai créé, depuis l’homme jusqu’au bétail, aux reptiles et aux oiseaux, car je regrette de les avoir faits.»

Genèse 6, 5-7

Mais, comme une mère pour ses enfants, Dieu reconnaît qu’il y a des justes, des innocents. Et il veille à les préserver. Il n’est pas adepte de la fessée collective et aveugle :

(8) Cependant, Noé trouva grâce aux yeux de l’Eternel. (9) Voici l’histoire de Noé. C’était un homme juste et intègre dans sa génération, un homme qui marchait avec Dieu.

Genèse 6, 8-9

Les textes bibliques nous montrent encore un Dieu qui nourrit ses enfants. Je m’y arrête un instant puisque qu’un des rôles de la mère est de nourrir son nourrisson7.

D’abord dans le Jardin d’Eden, puisqu’il invite l’homme et la femme à manger des fruits des arbres (à une exception près). Ensuite, la promesse est faite à l’homme qu’il ne mourra pas de faim, même si la nourriture tirée du sol, le sera au prix d’efforts :

(19) Tu tireras du sol ton pain à la sueur de ton front
jusqu’à ce que tu retournes à la terre (…)
Genèse 3, 19

On se souvient encore de la manne et des cailles au désert lors de la traversée vers la Terre promise.

La manne, une nourriture
Ou encore, parmi d’autres épisodes fameux, ces deux qui montrent combien Dieu et généreux quand il donne :

Qu’est-ce que cela me dit ?

Ma relation à Dieu, au Divin, est d’abord une relation de vie, qui me rend vivant, qui est porteuse de vie et par conséquent en relation avec un Dieu qui me reconnaît.

Même si le langage biblique présente le Divin sous les traits d’un père :« Notre Père qui est aux cieux », il peut être représenté avec des attributs maternels. D’ailleurs un psaume exprime l’image d’une oiselle qui protège ses petits sous son aile :

Qui s’abrite auprès du Très-Haut,
repose sous la protection |du Tout-Puissant. (2) Je dis à l’Eternel : « Tu es mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je me confie ! » (3) C’est lui qui te délivre du filet de l’oiseleur,
et de la peste qui fait des ravages. (4) Il te couvre sous son plumage, tu es en sécurité sous son aile,
sa fidélité te protège comme un grand bouclier.

Psaume 91, 1-4

Ensuite, cette relation nourrit ma vie. Non seulement, ma vie spirituelle par la relation que j’entretiens au traves de la lecture, de la méditation et de la prière, que je peux qualifier de dialogue, mais aussi ma vie relationnelle avec les autres. En effet, elle me fait découvrir, toujours et à nouveau, la présence discrète de ce Dieu nourrissant et aimant au coeur même de mes rencontres et de mes dialogues.

Et cette relation m’invite à regarder à la dignité de chacun·e, et à la mienne aussi : sous le regard de ce Dieu, annoncé par Jésus-Christ, chacun·e de nous est reconnu·e comme un·e enfant, digne d’être aimé·e. Même celui ou celle qui serait rejeté ou oublié·e par sa mère :

(15) (…) Une femme oublie-t-elle |l’enfant qu’elle nourrit ? Cesse-t-elle d’aimer |l’enfant qu’elle a conçu ? Et même si les mères |oubliaient leurs enfants, je ne t’oublierai pas ! (16) Voici, je t’ai gravée |dans le creux de mes mains (…)

Esaïe 49, 15-16

Et cela est très rassurant.

Questions à (se) poser :

  • Comment ma relation à mes parents ou ma famille (peut-être parfois conflictuelle) peut-elle influencer ma relation à Dieu ?
  • Quelles qualités maternelles m’ont aidé·e à me construire ?
  • Que signifie pour moi « venir au monde » ?
  • En quoi « vivre » est-ce différent d’« exister » ?
  • De quelle manière Dieu nourrit-il ma vie et mes rencontres ? Quelques exemples concrets…
  • Évoquer Dieu sous des traits maternelles, comment cela résonne/consonne-t-il en moi ?

  1. Exister, p. 25-26. 
  2. Ceci, bien évidemment, quand tout se passe bien. Si l’enfant est déjà « rejeté » ou nié, parce que, par exemple, il est la conséquence d’un viol et que l’avortement n’a pas été possible, ou que la mère fait un déni de grossesse, c’est très différent. 
  3. Quel enfant n’a pas joué à former des personnages en pâte à modeler et à leur donner symboliquement la vie, les faisant parler et communiquer entre eux ? 
  4. Cette relation Dieu-homme est différente des autres mythologies où le divin est souvent lointain et se joue de l’humain. 
  5. on retrouve ici ce double mouvement de la mère vers l’enfant et de l’enfant vers sa mère, constitutif de la relation fusionnelle. 
  6. Les exemples ne sont pas rares, malheureusement, d’entendre des mères dire à leur enfant : « j’aurais préféré que tu ne naisses jamais ! » 
  7. on parle, outre de lait maternel, d’instinct maternel, d’amour maternel. Mais de telles qualités se retrouvent aussi, et tant mieux, chez les pères. 

L’appartenance

Réflexions de que veut dire exister et faire partie et autour des rites et rituels, signes et symboles, cercles et groupes, inclusions et exclusions.

Je reprends ces réflexions initiées voici une année dans l’optique de la thématique d’un programme de catérchisme (11-14 ans). La thématique a changé entretemps, mais la réflexion reste. D’autant que la lecture de Exister. Le plus intime et le plus fragile des sentiments de Roger Neuburger, psychiatre, vient raviver mes réflexions. Plutôt que de les laisser dormir au fond de mon ordinateur, je vous en fais profiter en plusieurs billets.

Sentiment d’exister

Neuburger explique dans l’introduction de son livre que

Le sentiment d’exister n’a rien de naturel. C’est d’une construction destinée à échapper à l’angoisse fondamentale que suscite la conscience de notre mort inéluctable. Et c’est dès la naissance que nous sont enseignés les matériaux qui nous permettront plus tard de nous faire exister1.

Le Penseur d'Auguste Rodin
Le sentiment d’exister, ou phénomène d’humanisation, n’est pas inné, mais se construit selon deux facteurs complémentaires :

  1. La relation à la mère ou à une personne stable (j’y reviens plus bas)
  2. Le sentiment d’appartenance que je développe ci-après)

Chaque être humain a besoin de ces deux dimensions pour se sentir exister. L’absence de l’une ou de l’autre pourra créer des troubles identitaires ou amplifier le besoin de reconnaissance.

Par exemple, une personne ayant été délaissée ou abandonnée par sa mère ou sa famille pourra tenter d’acquérir une nouvelle reconnaissance dans le domaine professionnel.

Sentiment d’appartenance

L’homme est un animal grégaire. C’est une banalité que de le dire. Ce qui est essentiel, c’est que cet instinct primitif existe toujours et depuis toujours, sous la forme d’un besoin à combler : le besoin d’appartenance ou d’intégration sociale. Dès sa naissance, l’être humain a ce besoin d’être reconnu comme faisant partie d’un groupe : la famille d’abord, puis les pairs (camarades, amis, collègues…), la maison-couple (pour reprendre une image de Neuenburger) et/ou d’un idéal qui peut prendre la forme d’une association, d’un syndicat, d’une église, d’un groupe qui partage une vision commune.

Appartenir à une équipe, un groupe
En effet, l’homme a besoin de faire partie intégrante de tels groupes sociaux (famille, clubs, associations, mais aussi entreprise, commune, région, nation, religion etc.) avec lesquels il partage certaines caractéristiques (goûts, activités, idées, opinions, valeurs, convictions, statut social etc.), ce qui est un moyen à la fois de se reconnaître et d’être reconnu, d’accepter et de se sentir accepté.

Neuburger distingue quatre types de relations entre les individus :

  1. La relation nourricière (plutôt que maternelle) : il s’agit de la relation primaire à la « mère » ou à un·e référent·e qui permet au nouveau-né d’exister comme être vivant2. Cette relation fusionnelle implique une reconnaissance mutuelle mère/enfant.
  2. La relation d’autorité (plutôt que paternelle) : c’est la relation de celui ou celle qui détient une responsabilité éducatrice qu’il·elle doit exercer. L’enfant lui doit respect et obéissance 3.
  3. La relation fraternelle : c’est ce que l’enfant apprend au contact de ses camarades ou « frères », notamment à la crèche, en jouant, à la récréation 4.
  4. La relation amoureuse : qualifiée de dévorante par Neuburger. Elle fait privilégier de manière irrationnelle une relation individuelle exclusive avec un être élu5.

Donc exister passe par l’intermédiaire du regard de l’autre qui nous identifie et nous reconnaît comme un pair, un égal digne d’être accepté, respecté voire aimé.

Ce qui fait du besoin d’appartenance un besoin aussi fondamental (et complémentaire) que le besoin d’amour, d’affection de reconnaissance6 et les deux se nourrissent mutuellement.

Ce sentiment d’appartenance participe de la dimension sociale de notre identité et reste en mouvement tout au long de notre vie, de nos affiliations, de nos passages d’un groupe à un autre, avec toutes les influences que celui-ci peut exercer (ou cesser d’exercer). Il est à la fois le reflet et l’expression de cette identité sociale et est nécessaire à l’équilibre psychologique. Dans une société qui pousse à l’individualisme et brouille les repères par l’accélération des changements, certains peuvent avoir du mal à combler leur besoin d’intégration sociale et vivent davantage de solitude qu’ils ne le souhaiteraient. Inversement, lorsqu’il est comblé, ce besoin d’appartenance sociale participe à la satisfaction d’autres besoins: reconnaissance, amour et affection etc., ainsi qu’au renforcement de l’estime de soi(…) Si le besoin d’appartenance est universel, la façon dont il s’exprime pour chacun (en désirs) est individuelle et nécessite d’être déterminée avec précision pour s’inscrire dans les groupes qui nous importent d’une manière qui nous satisfait.7

Synonymes de ‘GROUPE’

Famille, cercle, équipe, club, clan, tribu, horde, association, classe, société, bande, communauté, peuple, paroisse, Église … Pour les animaux, on peut parler de espèce, troupeau, essaim, banc, harde…

Arrivée dans un groupe
 

Groupes ouverts ou fermés

Un groupe « ouvert » permet à toute personne de le rejoindre, à condition d’en partager les valeurs et les buts. Ex : associations, clubs sportifs, partis politiques… Il n’est pas limité quant au nombre de ses membres.

Un groupe « fermé » ne permet l’adhésion de nouveaux membres que sous certaines conditions, ou en cas de départ d’un des membres. Ex : commissions, groupes de travail, parlement… Le nombre des membres est limité par un règlement, des statuts, une loi.

Les réseaux sociaux offrent des exemples pertinents de groupes ouverts ou fermés. Certains offrent un libre accès : il suffit de cliquer sur « Rejoindre » pour en faire partie. D’autres exigent une présentation et une raison d’adhérer. La demande est alors examinée puis validée (ou non) par le modérateur du groupe.

Questions à (se) poser :

  • À quels groupes est-ce que j’appartiens ?
  • Quels sont les groupes ouverts ou fermés, quelles ont été les modalités pour les rejoindre ?
  • Est-ce que je l’ai choisi délibérément ou est-ce que cela m’a été imposé ?
  • À quoi ce(s) groupe(s) sont-ils reconnaissable(s) : signes distinctifs, habillement, cartes de membre, langage… ?
  • Existe-t-il des groupes qui me sont encore inaccessibles et auxquels j’aimerais appartenir ? Lesquels et pourquoi ?
  • Est-ce que j’appartiens à des groupes que j’aimerais quitter ? Qu’est-ce qui m’empêche de le faire ?
  • Que m’apporte le fait d’appartenir à tel ou tel groupe ?

  1. Neuburger Robert. Exister, p. 19 
  2. Exister, p.24 
  3. Exister, p. 26 
  4. Exister, p. 27 
  5. Exister, p. 28 
  6. Le besoin d’appartenance est le 3e étage de la pyramide des besoins selon Maslow, après les besoins physiologiques et sécuritaires, mais avant le besoin d’estime. 
  7. https://www.ithaquecoaching.com/articles/repondre-a-son-besoin-dappartenance-sociale-1028.html 

La diaconie dans l’espace politique

J’ai déjà eu l’occasion d’aborder la présence de l’Église dans l’espace public, c’est-à-dire la société civile, la population. Mais, il est encore un autre lieu que les Églises, au-delà de leurs confessions, ont à reconquérir : l’espace politique, qui prend de l’importance à la veille de la votation sur l’initiative pour des multinationales responsables.

La politique est l’affaire de tous

En cette fin d’été 2020, l’initiative pour des multinationales responsables peut compter sur le soutien d’Églises, de paroisses et de communautés, et de personnes engagées. Cette initiative rejoint les valeurs telles que la sauvegarde de l’environnement (ou dans le langage chrétien de la Création) et des droits humains (la dignité).

Il est sans doute bon de rappeler que la politique n’est pas seulement l’affaire des élu.e.s, mais de chacun et chacune d’entre nous. Le système démocratique suisse permet aux citoyens que nous sommes non seulement d’élire nos représentants, mais aussi de nous exprimer, de lancer initiatives et référendums, jusqu’à demander à l’ensemble de la population suisse s’il faut ou non couper les cornes des vaches.

La Vache, Boeuf, Museau, Ongulés, Animaux, L'Élevage

Églises et État font-ils bon ménage ?

J’ai souvent entendu que si on est chrétien.ne, il n’est pas toujours bon de se mêler de politique. Parce que Dieu et l’État ne sont pas faits pour s’entendre… Parce que le monde et les politiciens sont soit corrompus ou sous l’emprise du Mal. Étrange, quand je lis cette invitation dans la Bible :

J’encourage donc avant tout à faire des demandes, des prières, des supplications, des prières de reconnaissance pour tous les hommes, pour les rois et pour tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener une vie paisible et tranquille, en toute piété et en tout respect. Voilà ce qui est bon et agréable devant Dieu notre Sauveur, lui qui désire que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité.

1 Timothée 2, 1-4.

Je crois, au contraire, qu’en tant que citoyen et chrétien, je peux élire des hommes et des femmes, soutenir des causes, défendre des idéaux qui correspondent à mes valeurs chrétiennes. Je crois même qu’il est de mon devoir de le faire. Comme il est de mon devoir de dénoncer des abus, des situations injustes et inacceptables qui violent la dignité et les droits humains, qui bafouent les plus faibles et mettent à mal l’environnement. Raison pour laquelle j’ai soutenu la norme anti-homophobie et je soutiens l’initiative pour des multinationales responsables.

Les Églises peuvent-elles faire de la politique ?

Je crois que, non seulement, elle le peut, mais elle le doit. Il en va de sa responsabilité devant les hommes et devant Dieu. On m’a raconté qu’à une époque, le pasteur, en chaire à la fin du culte, invitait ses fidèles à aller voter et orientait parfois le choix :

Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, n’oubliez pas d’aller glisser votre oui (ou votre non) dans l’urne.

Extrait fictif d’un culte non moins fictif.

Ce temps-là est révolu. Mais l’engagement des Églises sur la scène politique, lui, n’a pas disparu. Et des causes sont soutenues par les communautés ecclésiastiques, à l’image de celle visant à responsabiliser les multinationales dans leurs agissements à l’étranger ou d’autres qui défendent la liberté et la dignité inaliénables de chaque être humain : homme, femme, enfant, quel qu’il soit.

Que ce soit à titre individuel ou communautaire, nous sommes aussi souvent interpellés par les œuvres d’entraide, EPER ou PPP, au sujet d’objets de votations et des enjeux qu’elles soulèvent.

Je discerne encore d’autres domaines où les Églises ont eu leur mot à dire. Pensons à la norme anti-homophobie, condamnant les discriminations liées à l’orientation sexuelle ou plus tôt à l’initiative contre l’immigration de masse. Deux exemples parmi d’autres, beaucoup d’autres.

Urne, Démocratie, Politique, Vote, Droit De Vote, Tour

Cependant, je trouve que les Églises sont souvent trop absentes ou trop timides sur le devant de la scène politique. Lors de campagnes, entre opposants et partisans, surtout lorsque des valeurs universelles sont en jeu, je n’entends pas les voix des Églises. Je ne les perçois pas dans le concert des pour ou des contre. Le prétexte que chacun est libre de voter ce qu’il veut, en âme et conscience, est un faux prétexte.

J’ai été déçu par l’absence des Églises aux côtés des associations qui venaient en aide aux plus pauvres, soudainement visibles, parce que renvoyés par leur employeur et non déclarés. Ou alors, les médias n’ont pas jugé utile de montrer des engagements concrets qui ont bien eu lieu en certains endroits.

Par contre, j’ai entendu l’Église catholique insisté (haut et fort) auprès du Conseil fédéral pour avancer la reprise des célébrations en présence à Pentecôte 2020.

L’Église est politique

[voir le commentaire reçu qui a légèrement influencé la rédaction de cette partie]

Le fonctionnement des autorités de l’Église, notamment réformée, est calqué sur le système fédéral bicaméral   et fait que l’Église fait de la politique. Qu’elle le veuille ou non.

Il y a deux « chambres » ou organes qui assurent la gouvernance. Le synode, majoritairement laïc, est composé de député.e.s élu.e.s par les paroisses ; c’est le pouvoir législatif, décisionnel. L’autre, le conseil synodal lui aussi plus laïc que ministériel dont les membres sont appelés conseiller.ère.s, assumant le pouvoir exécutif et appliquant les décisions synodales.

Au-delà de sa seule structure, l’Église a à défendre les plus défavorisés, à crier à l’injustice, à protéger la dignité et la liberté humaine, à s’engager dans l’accueil de l’étranger et sa reconnaissance et cela en tant qu’institution « Église ».

S’engager ?

Je connais personnellement des hommes et des femmes qui s’affichent chrétien.ne.s et qui s’engagent ou se sont engagé.e.s en politique que ce soit dans un gouvernement cantonal ou aux Chambres fédérales. Et leurs convictions ont donné une couleur particulière à leur engagement politique. Je pense ici à la famille de Jacques-André et Monika Maire.

Je connais d’autres personnes, tout aussi engagées qui ont rejoint une association ou un comité de défense.

Choix, Sélectionnez, Décider, Décision, Vote, Politique

J’en connais encore d’autres qui, individuellement, donnent de la voix lors de campagnes, sont présents sur les réseaux sociaux ou les médias, sur les marchés pour récolter des signatures, informer ou convaincre la population.

Ce sont, à mon sens, des actes chrétiens. Quoi qu’on puisse en dire !

 

Vos expériences et vos remarques sont les bienvenues en commentaires de cet article.

Contre vents et marées

Texte biblique : Évangile de Matthieu 14, 22-33

22 Aussitôt après, Jésus obligea les disciples à monter dans la barque et à le précéder sur l’autre rive pendant qu’il renverrait la foule. 23 Quand il l’eut renvoyée, il monta sur la montagne pour prier à l’écart et, le soir venu, il était là seul.

24 La barque se trouvait déjà au milieu du lac, battue par les vagues, car le vent était contraire. 25 A la fin de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur le lac. 26 Quand les disciples le virent marcher sur le lac, ils furent affolés et dirent: «C’est un fantôme!» et, dans leur frayeur, ils poussèrent des cris. 27 Jésus leur dit aussitôt: «Rassurez-vous, c’est moi. N’ayez pas peur!» 28 Pierre lui répondit: «Seigneur, si c’est toi, ordonne-moi d’aller vers toi sur l’eau.» 29 Jésus lui dit: «Viens!» Pierre sortit de la barque et marcha sur l’eau pour aller vers Jésus, 30 mais, voyant que le vent était fort, il eut peur et, comme il commençait à s’enfoncer, il s’écria: «Seigneur, sauve-moi!» 31 Aussitôt Jésus tendit la main, l’empoigna et lui dit: «Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?» 32 Ils montèrent dans la barque, et le vent tomba. 33 Ceux qui étaient dans la barque vinrent se prosterner devant Jésus en disant: «Tu es vraiment le Fils de Dieu.»

Des navigateurs connus d’hier et d’aujourd’hui

Chers Amis, chers frères et sœurs,

Sans doute que les noms de Florence Arthaud, Laurent Bourgnon, Olivier de Kersauson, Steve Ravussin ne vous sont pas inconnus. Ceux de Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Magellan, longtemps avant eux, non plus.

Tous ont été ou sont des navigateurs. Tous, ils ont parcouru les océans et les mers. Tous, ils ont essuyé des tempêtes, surmonté des dangers. Tous, ils ont lutté contre vents et marées. Ils sont devenus des héros… Des héros de l’impossible !

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » a écrit, un jour, Mark Twain.

Quand je relis cet épisode des disciples dans la barque, il me vient les noms de ces navigateurs. Quand je regarde des reportages de course à la voile autour du monde, il me vient les noms de ces disciples dans leur barque, se démenant contre les flots, luttant pour ne pas chavirer. Et pourtant, ces disciples étaient pour la plupart des pêcheurs, des marins, des navigateurs aguerris. La mer, ils connaissaient, ce qui ne les empêchaient pas d’être en difficulté. De se sentir bien seuls face aux éléments.

Voilier, Bateau À Voile, Mer, Bateau

Un mot : la solitude

Quand je relis ce texte, il y a ce mot qui me vient d’abord : la solitude. Celle de Jésus qui, après avoir rassasié les foules, s’en va, s’isole, pour prier au calme. Et celle des disciples qui luttent contre le vent contraire et les flots qui remplissent la barque.

Et je me surprends à penser que nous sommes, nous aussi des navigateurs sur les flots de la vie. Notre foi connaît ces deux moments : la tranquillité de la prière et de la méditation dans une église, chez soi, dans la nature et… l’agitation, parfois tumultueuse, face aux vagues de l’imprévu. Et nous avons à nous démener, à vivre, à tenter de vivre malgré tout avec confiance, entre ces deux extrêmes, nous sentant parfois bien seuls nous aussi.

Les navigateurs professionnels connaissent à leur tour des moments de calme plat, où ils peuvent se reposer, dormir un peu, faire confiance aux instruments, et d’autres où ils sont sur le pont à tenter de maîtriser une voile, à tirer sur un cordage, à s’accrocher à la barre, à essuyer les flots. À faire se confiance tout comme au matériel. S’ils avaient su tous les dangers, se seraient-ils seulement engagés ?

Des questions déstabilisantes

Revenons à cette traversée de l’Évangile. Il me vient alors des questions que je vous partage, qui sont les vôtres peut-être : n’est-ce pas Jésus lui-même qui a pressé ses disciples de prendre le large ? Savait-il qu’une tempête allait se lever ?

Jésus serait-il à ce point sadique qu’il envoie ses amis au casse-pipe, dans une barque et sur une mer qui allait se déchaîner ?

A-t-il voulu éprouver la confiance de ses amis, voir s’ils avaient enfin compris qu’il est le Sauveur ?

A-t-il cherché à être adoré parce qu’il les aurait sauvés du naufrage ?

L'Eau, Mer, Atlantique, Ocean, Vague

Des réponses qui stabilisent, vraiment ?

Non, non, trois fois non ! La tempête n’est pas une punition de Dieu, elle est inhérente au monde et à celui de la mer en particulier. Elle en fait partie, voilà tout.

Prétendre le contraire, ce serait faire de l’envoyé de Dieu, de Jésus, un sauveur qui met à l’épreuve. Un sauveur qui ne réserverait le salut qu’à ceux qui le méritent seulement, à ceux qui auraient prouvé qu’ils étaient à la hauteur.

Jésus ne met pas à l’épreuve, Jésus n’exige pas de nous que nous atteignions des sommets, que nous soyons des modèles de courage, des héros de la foi. Mais au contraire, il nous rejoint dans nos épreuves, dans nos fonds et nos tréfonds. Là où notre confiance est sur le point de sombrer. Il vient pour nous rassurer : « Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur ! » Facile à dire, surtout si on est capable de marcher sur les eaux !

Une réponse… Une preuve ! Pas si vite !

Alors, Pierre veut en avoir le coeur net : « Si c’est bien toi… » Comme si ses yeux pouvaient le tromper, comme si les disciples étaient soudainement victimes d’une hallucination : un fantôme, un esprit… « Si c’est bien toi… »

Plutôt que de nous abandonner à la confiance, contre vents et marées, nous avons besoin de mettre des mots sur l’incompréhensible, sur ce qui échappe à notre logique. Même si ces mots n’en disent pas plus d’ailleurs : un fantôme, un esprit.

Nous avons besoin de nous accrocher à ce qu’on croit savoir.

C’est normal, c’est humain.

Mains, Portée, Personnes, Silhouette, Ombre

Combien de fois mettons-nous à notre tour Dieu à l’épreuve de nos certitudes ? Combien fois exigeons-nous de lui une confirmation, un signe de sa présence ? « Si c’est bien toi… »

Oui, c’est bien lui, lui qui nous rejoint, lui qui nous rassure, lui qui affermit notre confiance. Lui qui nous appelle à la confiance, même si cela nous paraît impossible.

Pierre, qui veut en avoir le coeur net, demande à reculer les frontières de l’impossible : à avancer sur les eaux, à affronter le danger au plus près, à quitter le frêle esquif, son seul abri, pour rejoindre son Maître là où il est, là sur les flots. Imaginez un instant : sentez-vous le vent qui fouette vos visages ? Sentez-vous les embruns qui vous mouillent ?

Et Jésus l’invite à le rejoindre, avec un calme qui contraste avec l’agitation du moment : « Viens… » Un mot, un simple mot, un mot trop simple, un mot qui résonne comme une évidence et qui, pourtant, est une invitation à repousser les limites de l’impossible. Un mot qu’on peine à entendre dans le tumulte de la vie.

« Viens là où je suis et là où tu as peur d’aller. »

« Viens me rejoindre en paix, contre vents et marées. »

« Viens, confiance. Fais-moi confiance. Fais-toi confiance ! »

Pierre : notre frère, notre reflet

Nous avons tôt fait de blâmer Pierre pour son manque de foi. Nous avons tôt fait d’en faire l’exemple du croyant qui doute. Ça a failli lui jouer un mauvais tour…

Mais, aurions-nous été  aussi courageux que lui ? Aurions-nous sauté le pas du bastingage ?

Ne lui ressemblons-nous, un peu du moins ?

« Seigneur, si tu étais là… », « Si c’est bien toi… », « Si Dieu ceci, si Dieu cela … »

Ce tableau brossé par Matthieu nous en dit beaucoup à propos de notre humanité, à propos de notre condition humaine : il en dit beaucoup de nos instabilités, des tempêtes (parfois celles que nous créons nous-mêmes ou celles qui nous noient dans un verre d’eau), des vents contraires et des vagues que nous recevons en pleine figure, des obstacles que nous affrontons…

Plage, Sec, Croûte, Sauvage, Ondes
Et en même temps, ce tableau nous fait voir le Sauveur marchant à notre rencontre, vers la barque de nos existences. Le voyons-nous toujours nous rejoindre et nous inviter à la confiance ? Combien de fois prenons-nous conscience de son secours et de sa main tendue plutôt que de compter, de nous reposer, sur nos propres forces et ressources ? Combien de fois voyons-nous d’autres mains se tendre pour nous aider, nous rattraper, nous secourir… Dites : combien de fois ? Combien de fois nous lâchons-nous à la confiance ?

Les navigateurs du passé, ceux d’aujourd’hui, ceux que nous sommes avons des compétences qui nous permettent d’affronter les épreuves, mais nous  avons aussi à faire confiance, à compter sur Celui qui vient à la rencontre pour nous redonner confiance.

Quelques questions pour finir…

Facile à dire, même devant vous. Facile à croire ? Arrêtons un instant le flot de nos pensées et posons-nous ces questions :

Sommes-nous prêts à accueillir Jésus dans notre barque ?

Sommes-nous prêts à naviguer avec lui ?

À lâcher la barre de nos certitudes ?

À lui faire suffisamment confiance pour répondre à son appel et aller là où il nous attend ?

À le laisser calmer nos tempêtes et à reconnaître qu’il est vraiment le Fils de Dieu ?

 

Priez ! Rompez !

La nouvelle ne vous aura sans doute pas échappé ou si, justement. La RTS a relayé l’info que le 5 juillet dernier, les membres d’un bataillon militaire ont été choqués, voire blessés, par l’invitation de l’aumônier militaire à prier le « Notre Père ». Dans les rangs de l’armée, comme dans les couloirs des institutions de soins, l’aumônier n’est plus ce qu’il était et est appelé à devenir qui il devra. Et si l’aumônier quittait l’Église ?

L’espace public, l’espace laïc ?

Dans un autre billet, j’ai fait mention de la présence de la diaconie dans l’espace public. Je la conçois comme une manière d’animer, de donner de la vie, de provoquer l’invitation et la convivialité et aussi, par ce biais, d’aborder des questions plus profondes, existentielles et spirituelles. Je pensais m’arrêter là, mais la dépêche mentionnée plus haut, et les propos suivants me font réagir.

De nombreux militaires ont été choqués, voire blessés, par ce moment. La lecture de la Bible et surtout l’invitation à la prière ont été ressenties comme une atteinte à leur liberté de croyance. D’autant que ce bataillon est composé majoritairement de Genevois, un canton laïque où l’Etat doit observer une stricte neutralité religieuse.

Les mots sont durs : « choqués », « blessés » par une invitation qui est entendue comme une obligation : « Compagnie, priez ! » Je ne connais pas l’aumônier en question (ou je ne crois pas le connaître). Mais n’est-ce pas son rôle que de remettre l’Église au milieu de la troupe ? Je n’ai pas entendu les mots qu’il a employés, mais une invitation peut se décliner. Sans doute que le retour d’une marche n’était pas le plus opportun pour faire tenir debout les soldats. Je ne suis pas soldat, je ne sais pas.

Mais, ce qui est révélateur, c’est le recours à la laïcité et la mention spécifique au Canton de Genève brandies comme l’étendard de notre liberté. La laïcité, on la met à toutes les sauces pour justifier toutes les exclusions. L’État est laïc dans son ensemble et promeut la liberté de croyance à chacun de ses citoyens. Liberté de ne pas pratiquer tout comme de pratiquer d’ailleurs. À quel titre, le Canton de Genève serait-il plus laïc que Neuchâtel ?

Et enfin, la stricte neutralité religieuse impliquerait donc de ne pas en parler, d’en faire un sujet tabou. On flaire quand même une compréhension de ce qu’on entend de la laïcité : l’évacuation de toute référence religieuse de l’espace public. A-t-on oublié que le Préambule de la Constitution fédérale commence par : Au nom de Dieu tout-puissant ? Et Genève de mentionner un héritage spirituel dans la sienne ?

Préambule
Le peuple de Genève,
reconnaissant de son héritage humaniste, spirituel, culturel et scientifique, ainsi que de son appartenance à la Confédération suisse,
convaincu de la richesse que constituent les apports successifs et la diversité de ses membres,
résolu à renouveler son contrat social afin de préserver la justice et la paix, et à assurer le bien-être des générations actuelles et futures,
attaché à l’ouverture de Genève au monde, à sa vocation humanitaire et aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
déterminé à renforcer une république fondée sur les décisions de la majorité et le respect des minorités,
dans le respect du droit fédéral et international,
adopte la présente constitution :

Source : Site de la République et Canton de Genève (consulté le 27.07.2020)

Spirituel plutôt que religieux.

Le profil de l’aumônier a évolué et évoluera encore, c’est certain. Il n’est plus l’ecclésiastique envoyé par une Église (ou communauté) pour rendre visite à ses paroissiens. Il a déjà acquis une dimension œcuménique indéniable.

Mais l’évolution la plus notoire est le glissement du religieux au spirituel. L’aumônier n’est plus le représentant d’une identité confessionnelle. Il n’est plus l’homme de Dieu, mais le spécialiste du spirituel dans son ensemble, surtout évacué de Dieu.

Par ailleurs, il [Noël Pedreira, remplaçant du chef de l’aumônerie de l’armée suisse] estime que la question de la modernité de l’aumônerie militaire est déjà prise en compte dans de nouvelles directives. « Aujourd’hui, les aumôniers de l’armée sont davantage dans le domaine de la spiritualité que dans celui de la religion, afin d’accompagner les soldats », dit-il.

J’ai constaté les débuts de cette évolution il y a une dizaine d’années au CHUV, lorsque j’y faisais mon stage. Les aumôniers préféraient la dénomination d’accompagnants spirituels. Et depuis, le vocabulaire a encore changé : Spécialiste en soins spirituels. La formation destinée aux accompagnants s’académise, elle aussi. Il est révolu le temps où chacun fixait ses propres objectifs de stage, ce que j’ai encore fait en 2011.

Le monde a changé. L’aumônier aussi.

Cette évolution est en marche pour correspondre à une réalité sociologique : le fait que nombre de patients, de soldats, de personnes ne pratiquent plus une religion ni ne se reconnaissent dans les Églises institutionnelles.

Cette réalité, je l’ai côtoyée de nombreuses années, notamment auprès des personnes âgées, dont bon nombre se réclamaient encore d’une des deux religions : catholique ou protestante. Mais, le personnel soignant ne se référait que peu à un ancrage religieux. Il en a été  de même des familles et proches que j’ai pu accompagner.

Se faire tout à tous… Vraiment ? En toute transparence.

Je ne suis pas convaincu par cette évolution dans la dénomination, je l’avoue. La réalité qui a été la mienne, aumônier réformée dans des EMS du Canton de Neuchâtel, m’a fait voir que le modèle proposé par le CHUV n’était pas encore entré dans le fonctionnement de toutes les institutions de Suisse et d’ailleurs.

Ne cherche-t-on à avancer masqués, à cacher ce qu’on croit (ou ce qui nous anime) pour être toléré dans des lieux qui défendent (peut-être maladroitement) la liberté de croyance ? Ne serait-il pas plus simple d’inscrire à l’entrée des homes par exemple : « Dans ce lieu, chacun est libre de croire ou non. Ses croyances seront respectées et il est possible de demander un accompagnement humain et spirituel respectueux. »

La réalité qui est la mienne actuellement, diacre en paroisse envoyé par elle dans les institutions pour y visiter les résidents et célébrer des cultes, date encore de l’ancien modèle. Et je m’y sens (encore) bien.

Derrière cette évolution lexicale d’aumônier à spécialiste, ne cherche-t-on à justifier la présence de représentant.e.s des Églises dans les institutions ? J’écris des Églises, mais je sais que les spécialistes en soins spirituels sont engagés par le CHUV et que le lien avec une communauté religieuse est de moins en moins évident, voire plus du tout. L’aumônerie du CHUV est devenue un système en circuit fermé, sans ouverture vers la communauté : des célébrations ont lieu dans la chapelle de l’hôpital, les visites sont faites majoritairement par les employés de l’aumônerie et devient un centre de recherche.

Et si, et si, les aumôniers d’antan étaient une espèce en voie de disparition ? Ils le sont déjà.

Et si, à l’avenir, les spécialistes en soins spirituels n’avaient plus de liens avec les Églises et qu’ils devenaient des académiciens ? Ils le deviennent. À voir le chemin entrepris, je me dis que cette option pourrait bien devenir la norme d’ici pas longtemps. Pour notre bien ? L’avenir nous le dira. Je reste sur la réserve.

Comme un poumon

En tant que diacre, j’aime ce double mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, de l’extérieur vers l’intérieur. J’aime être sur le seuil entre société civile et communauté Église. J’aime comparer mon rôle à un poumon qui inspire et expire, qui accueille et envoie. Dans mes activités, passées et présentes, j’ai eu la chance de pouvoir rendre compte de ce que je faisais en-dehors de là où je le faisais. Et cela a éveillé l’intérêt et de la reconnaissance. J’ai aussi pu amener ceux qu’on ne voit jamais là où je travaillais là où je travaillais et cela a éveillé de l’intérêt et de la reconnaissance.

Lors de cérémonies d’adieux, et après en avoir discuté avec la famille, j’ai invité l’assemblée à prier le Notre Père. Parfois, je me suis senti bien seul à le réciter, mais c’est important de le faire. C’est une prière qui rassemble aussi ceux qui ne sont pas là. Elle a du sens et du poids pour moi. Elle nous inscrit dans une histoire, celle des enfants de Dieu. Il s’agit de ne pas l’oublier, sans doute plus encore à l’heure d’un décès. Et si on ne la dit pas soi-même, elle a son effet pour ceux qui l’entendent (ou pas). À la sortie, je n’ai rencontré personne qui avait été choqué ou blessé d’avoir entendu ces mots, mais le contexte était différent de celui d’une troupe de miliaires.

Différent, vraiment ?

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