À un moment, la question du choix entre pasteur ou diacre s’est naturellement posée. C’était à quelques mois de la fin du parcours des Explos théologiques. Quelle orientation prendre ? Quelle filière suivre ? Parmi les formateurs et mes compagnons, certains me voyaient devenir pasteur. Moi, je ne savais pas. Alors, pourquoi avoir finalement choisi d’être diacre ?
Une question essentielle
La réponse à la question de ma formation future allait influencer les prochaines années de ma vie professionnelle et personnelle. Je me suis d’abord renseigné sur le pastorat, sur les conditions d’admission à l’université, les facultés, les frais, les possibilités. Évidemment que ces aspects sont différents si on les considère à 18 ans ou à près de 40, comme c’était mon cas. Ou si ces questions se posent dans la continuité d’une formation ou dans une formation d’adultes, après une longue période loin des écoles. J’avais un engagement professionnel et ne pouvais pas compter sur des parents qui m’auraient sans doute aidé à assumer.
Aspects pratiques
Je me souviens d’un entretien avec le professeur et ami Felix Moser qui envisageait déjà des équivalences entre ce que j’avais acquis en formation et les exigences universitaires. Les premiers éléments de réponse m’ont aussi montré que les facultés se trouvaient dorénavant à Lausanne ou Genève. J’aurais eu encore à « rattraper » l’hébreu et me remettre au grec que j’avais commencé d’étudier à l’école secondaire. Une possibilité pouvait être aussi de suivre les cours à distance dispensés par la faculté de théologie de l’Uni de Genève. Comment concilier études exigeantes et travail au quotidien ? Sans doute possible, d’autres l’ont fait. Allais-je tenir dans la durée ? Autant de questions qui tournaient dans ma tête. Conclusion du moment : la porte n’était ni complètement fermée ni grande ouverte, elle restait entrebâillée.
Oui, certainement que j’aurais pu rejoindre les bancs d’une faculté, mais je ne m’en sentais pas à la hauteur. Je l’écris en toute franchise. Je voyais ces études comme une montagne quasi infranchissable. Même si j’étais persuadé que la foi peut déplacer des montagnes.
Je me suis alors intéressé à la formation diaconale.
Pas un choix de seconde main
N’allez pas croire que c’était un choix au rabais, le premier m’étant peu accessible. Non, je l’ai envisagé avec autant de sérieux que la filière universitaire. Les descriptions que j’ai lues de la diversité de ce ministère sur le site de l’OPF m’ont motivé. Aujourd’hui, même si ce profil a évolué, il reste dans les grandes lignes ce à quoi j’avais été sensible à l’époque et qui figure encore sur le site d’orientation.ch : l’accompagnement, la célébration, l’animation, la communication. La diversité des possibles me correspondait et me motivait. Plus je me documentais, plus j’étais persuadé que le diaconat était fait pour moi et moi pour lui. D’autant plus que j’étais déjà engagé à un petit pourcentage comme aumônier laïc dans deux homes pour personnes âgées où je m’exerçais déjà à ces aspects pratiques.
La décision est prise
Je me suis donc décidé pour la formation diaconale. Revenons brièvement sur les modalités de cette formation : elle se déroulait sur des week-ends, le plus souvent à Neuchâtel, et durait trois ans. Le contenu des différentes sessions m’a convaincu que j’avais fait le bon choix. Mon engagement d’aumônier m’a donné une longueur d’avance sur mes camarades de formation qui, eux, devaient encore chercher des possibilités de stage dans leur Église.
Durant ces trois années, j’ai retrouvé aussi le plaisir de l’étude, de la rédaction de travaux, la lecture et le travail exigeant de la réflexion, sans oublier le partage et la discussion entre collègues, venant d’horizons différents.
J’ai été encouragé dans cette voie. Certains amis et collègues m’affirmaient que j’étais fait pour cela. D’autres, peu nombreux, exprimaient leurs regrets : je gâchais une belle opportunité. Comme si, pour eux, le diaconat était un deuxième choix.
Une difficulté à me situer
Cependant, tout au long de la formation, je ressens une difficulté à définir mon profil de diacre. Encore aujourd’hui, ce n’est pas évident. Il y a toujours et encore cette tentation d’une définition par la négative : je suis comme un pasteur, mais… Non, je suis diacre, pas pasteur…
À part un parcours de formation différent et peut-être une orientation tournée vers le lien entre Église et société, je ne voyais pas de grandes différences entre pasteurs et diacres. Surtout que les échos de mes compagnons de formation montraient le flou entre les deux ministères.
La formation ne m’a pas permis d’ailleurs de résoudre cette question. Elle reste toujours délicate pour moi et j’éprouve un malaise quand on me demande : c’est quoi un diacre ?
J’ai aussi rencontré des pasteurs qui avaient une fibre diaconale très marquée et des diacres qui étaient des pasteurs nés.
Dans mon ministère d’aumônerie auprès des aînés, le personnel ne s’embarrassait pas de cette nuance. Pour beaucoup, j’étais Monsieur le pasteur, voire Monsieur le curé… qui était marié. Les résidents eux non plus ne faisaient pas de différence. Sans doute, avaient-ils raison.
C’est un livre de Laurent Schlumberger, Sur le seuil, les protestants au défi du témoignage, qui m’a donné une première ébauche de réponse : être sur le seuil de l’Église, un pied dedans et un pied dehors. D’ailleurs les aumôneries portent bien cette dimension en allant à la rencontre de ceux qui ne viennent pas (ou plus ou pas encore) à l’église.
Une part en soi ou comment tu choisis la bonne part
C’est une collègue qui a eu les mots libérateurs. Elle me répondit, alors que je partageais ma difficulté : chacun de nous porte une part de féminin et de masculin en soi. C’est pareil, nous les diacres avons une part du pasteur, comme nos collègues pasteurs portent une part diaconale.
Ainsi, il n’y a plus à choisir ni à tenter une définition qui exclurait l’un des ministères au profit de l’autre. Je suis diacre et pasteur. À différents moments, je me sens plutôt diacre dans l’accompagnement, la mise en route de projet. À d’autres moments, je prends un rôle de pasteur en célébrant un culte ou en présidant un service funèbre, par exemple. Ce dernier étant, et quoi qu’on en dise, un acte diaconal : il s’agit de s’adresser à une assemblée aux croyances diverses, à donner un message à la fois clair et ancré dans le quotidien de la vie, à accompagner des émotions, à collaborer avec des acteurs civils…
Mon rôle de responsable à La Margelle, lieu d’écoute et d’accompagnement en Ville de Neuchâtel allie également ces deux facettes de ma personne. J’y vis des aspects très pratiques liés à la bonne marche du lieu et au bien-être de l’équipe et j’accompagne spirituellement les bénéficiaires, faisant parfois du catéchisme d’adulte et de la théologie pratique.
Il ne me faut plus choisir
Arrivé à La Neuveville, j’imaginais être à nouveau confronté à la question : et un diacre, c’est quoi ? Mais non, cela ne s’est pas produit. Les paroissiens, pour la plupart, me saluent et me reconnaissent comme diacre.
La mission et notamment la célébration de services funèbres ont révélé que, pour l’Église cantonale bernoise, il y a une stricte séparation entre pasteurs et diacres. Cela tient à une compréhension différente entre alémanique et francophones. Du côté alémanique, c’est l’engagement social qui est mis en avant. Du côté romand, on privilégie une définition à géométrie plus variable. Mais, les choses évoluent et bougent. Depuis peu, la pandémie aidant, les diacres francophones bernois sont reconnus et autorisés à célébrer des services funèbres.
Il n’y a plus de question à avoir
J’ai un peu hésité quant au titre de cet article. Finalement, je retiens celui-ci : faudrait-il choisir ?
Et je peux conclure en répondant que je n’ai plus à choisir entre pasteur et diacre, puisque je suis les deux. Cela me rappelle une remarque de la commission de consécration de l’EREN : « Tu es un diacre atypique avec une forte couleur pastorale. » Ça me va bien.
Finalement, ce qui est essentiel, ce n’est pas tant de me battre pour savoir ou faire savoir que je suis diacre, mais bien ma manière d’être au service du Christ et de mes prochains. Si j’ai une fibre pastorale, eh bien tant mieux. Un ami et collègue, dans un commentaire Facebook, parle de sa manière de porter l’habit de la fonction et de la foi plutôt que d’être lui-même l’habit. J’aime beaucoup cette image : ce n’est pas l’habit qui fait le diacre, mais le serviteur porte bien l’habit. Qu’il soit pastoral ou diaconal, d’ailleurs.
Je partage Itinéraire diaconal par Maurice Gadriol. Ce texte de 1994 (!) garde toute son actualité, voire inspire une manière de considérer les divers ministères et engagements non comme des concurrences ou des « chasses gardées », mais comme une diversité bienvenue pour la communauté. C’est d’ailleurs cette diversité qui donne vie à la communauté.
Cet article a suscité des réaction sur Facebook. Ceux-ci se focalisant plutôt sur des questions de la formation, je les reproduirai en commentaires ci-dessous.
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