La nouvelle ne vous aura sans doute pas échappé ou si, justement. La RTS a relayé l’info que le 5 juillet dernier, les membres d’un bataillon militaire ont été choqués, voire blessés, par l’invitation de l’aumônier militaire à prier le « Notre Père ». Dans les rangs de l’armée, comme dans les couloirs des institutions de soins, l’aumônier n’est plus ce qu’il était et est appelé à devenir qui il devra. Et si l’aumônier quittait l’Église ?
L’espace public, l’espace laïc ?
Dans un autre billet, j’ai fait mention de la présence de la diaconie dans l’espace public. Je la conçois comme une manière d’animer, de donner de la vie, de provoquer l’invitation et la convivialité et aussi, par ce biais, d’aborder des questions plus profondes, existentielles et spirituelles. Je pensais m’arrêter là, mais la dépêche mentionnée plus haut, et les propos suivants me font réagir.
De nombreux militaires ont été choqués, voire blessés, par ce moment. La lecture de la Bible et surtout l’invitation à la prière ont été ressenties comme une atteinte à leur liberté de croyance. D’autant que ce bataillon est composé majoritairement de Genevois, un canton laïque où l’Etat doit observer une stricte neutralité religieuse.
Les mots sont durs : « choqués », « blessés » par une invitation qui est entendue comme une obligation : « Compagnie, priez ! » Je ne connais pas l’aumônier en question (ou je ne crois pas le connaître). Mais n’est-ce pas son rôle que de remettre l’Église au milieu de la troupe ? Je n’ai pas entendu les mots qu’il a employés, mais une invitation peut se décliner. Sans doute que le retour d’une marche n’était pas le plus opportun pour faire tenir debout les soldats. Je ne suis pas soldat, je ne sais pas.
Mais, ce qui est révélateur, c’est le recours à la laïcité et la mention spécifique au Canton de Genève brandies comme l’étendard de notre liberté. La laïcité, on la met à toutes les sauces pour justifier toutes les exclusions. L’État est laïc dans son ensemble et promeut la liberté de croyance à chacun de ses citoyens. Liberté de ne pas pratiquer tout comme de pratiquer d’ailleurs. À quel titre, le Canton de Genève serait-il plus laïc que Neuchâtel ?
Et enfin, la stricte neutralité religieuse impliquerait donc de ne pas en parler, d’en faire un sujet tabou. On flaire quand même une compréhension de ce qu’on entend de la laïcité : l’évacuation de toute référence religieuse de l’espace public. A-t-on oublié que le Préambule de la Constitution fédérale commence par : Au nom de Dieu tout-puissant ? Et Genève de mentionner un héritage spirituel dans la sienne ?
Préambule
Le peuple de Genève,
reconnaissant de son héritage humaniste, spirituel, culturel et scientifique, ainsi que de son appartenance à la Confédération suisse,
convaincu de la richesse que constituent les apports successifs et la diversité de ses membres,
résolu à renouveler son contrat social afin de préserver la justice et la paix, et à assurer le bien-être des générations actuelles et futures,
attaché à l’ouverture de Genève au monde, à sa vocation humanitaire et aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme,
déterminé à renforcer une république fondée sur les décisions de la majorité et le respect des minorités,
dans le respect du droit fédéral et international,
adopte la présente constitution :Source : Site de la République et Canton de Genève (consulté le 27.07.2020)
Spirituel plutôt que religieux.
Le profil de l’aumônier a évolué et évoluera encore, c’est certain. Il n’est plus l’ecclésiastique envoyé par une Église (ou communauté) pour rendre visite à ses paroissiens. Il a déjà acquis une dimension œcuménique indéniable.
Mais l’évolution la plus notoire est le glissement du religieux au spirituel. L’aumônier n’est plus le représentant d’une identité confessionnelle. Il n’est plus l’homme de Dieu, mais le spécialiste du spirituel dans son ensemble, surtout évacué de Dieu.
Par ailleurs, il [Noël Pedreira, remplaçant du chef de l’aumônerie de l’armée suisse] estime que la question de la modernité de l’aumônerie militaire est déjà prise en compte dans de nouvelles directives. « Aujourd’hui, les aumôniers de l’armée sont davantage dans le domaine de la spiritualité que dans celui de la religion, afin d’accompagner les soldats », dit-il.
J’ai constaté les débuts de cette évolution il y a une dizaine d’années au CHUV, lorsque j’y faisais mon stage. Les aumôniers préféraient la dénomination d’accompagnants spirituels. Et depuis, le vocabulaire a encore changé : Spécialiste en soins spirituels. La formation destinée aux accompagnants s’académise, elle aussi. Il est révolu le temps où chacun fixait ses propres objectifs de stage, ce que j’ai encore fait en 2011.
Le monde a changé. L’aumônier aussi.
Cette évolution est en marche pour correspondre à une réalité sociologique : le fait que nombre de patients, de soldats, de personnes ne pratiquent plus une religion ni ne se reconnaissent dans les Églises institutionnelles.
Cette réalité, je l’ai côtoyée de nombreuses années, notamment auprès des personnes âgées, dont bon nombre se réclamaient encore d’une des deux religions : catholique ou protestante. Mais, le personnel soignant ne se référait que peu à un ancrage religieux. Il en a été de même des familles et proches que j’ai pu accompagner.
Se faire tout à tous… Vraiment ? En toute transparence.
Je ne suis pas convaincu par cette évolution dans la dénomination, je l’avoue. La réalité qui a été la mienne, aumônier réformée dans des EMS du Canton de Neuchâtel, m’a fait voir que le modèle proposé par le CHUV n’était pas encore entré dans le fonctionnement de toutes les institutions de Suisse et d’ailleurs.
Ne cherche-t-on à avancer masqués, à cacher ce qu’on croit (ou ce qui nous anime) pour être toléré dans des lieux qui défendent (peut-être maladroitement) la liberté de croyance ? Ne serait-il pas plus simple d’inscrire à l’entrée des homes par exemple : « Dans ce lieu, chacun est libre de croire ou non. Ses croyances seront respectées et il est possible de demander un accompagnement humain et spirituel respectueux. »
La réalité qui est la mienne actuellement, diacre en paroisse envoyé par elle dans les institutions pour y visiter les résidents et célébrer des cultes, date encore de l’ancien modèle. Et je m’y sens (encore) bien.
Derrière cette évolution lexicale d’aumônier à spécialiste, ne cherche-t-on à justifier la présence de représentant.e.s des Églises dans les institutions ? J’écris des Églises, mais je sais que les spécialistes en soins spirituels sont engagés par le CHUV et que le lien avec une communauté religieuse est de moins en moins évident, voire plus du tout. L’aumônerie du CHUV est devenue un système en circuit fermé, sans ouverture vers la communauté : des célébrations ont lieu dans la chapelle de l’hôpital, les visites sont faites majoritairement par les employés de l’aumônerie et devient un centre de recherche.
Et si, et si, les aumôniers d’antan étaient une espèce en voie de disparition ? Ils le sont déjà.
Et si, à l’avenir, les spécialistes en soins spirituels n’avaient plus de liens avec les Églises et qu’ils devenaient des académiciens ? Ils le deviennent. À voir le chemin entrepris, je me dis que cette option pourrait bien devenir la norme d’ici pas longtemps. Pour notre bien ? L’avenir nous le dira. Je reste sur la réserve.
Comme un poumon
En tant que diacre, j’aime ce double mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, de l’extérieur vers l’intérieur. J’aime être sur le seuil entre société civile et communauté Église. J’aime comparer mon rôle à un poumon qui inspire et expire, qui accueille et envoie. Dans mes activités, passées et présentes, j’ai eu la chance de pouvoir rendre compte de ce que je faisais en-dehors de là où je le faisais. Et cela a éveillé l’intérêt et de la reconnaissance. J’ai aussi pu amener ceux qu’on ne voit jamais là où je travaillais là où je travaillais et cela a éveillé de l’intérêt et de la reconnaissance.
Lors de cérémonies d’adieux, et après en avoir discuté avec la famille, j’ai invité l’assemblée à prier le Notre Père. Parfois, je me suis senti bien seul à le réciter, mais c’est important de le faire. C’est une prière qui rassemble aussi ceux qui ne sont pas là. Elle a du sens et du poids pour moi. Elle nous inscrit dans une histoire, celle des enfants de Dieu. Il s’agit de ne pas l’oublier, sans doute plus encore à l’heure d’un décès. Et si on ne la dit pas soi-même, elle a son effet pour ceux qui l’entendent (ou pas). À la sortie, je n’ai rencontré personne qui avait été choqué ou blessé d’avoir entendu ces mots, mais le contexte était différent de celui d’une troupe de miliaires.
Différent, vraiment ?
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